Marie et femme

Petite fable de moeurs contemporaine… en six épisodes


Elles étaient des jumelles extraordinaires parce que parfaites.

source: lightinthebox.com

Rien ne pouvait les distinguer.
Pas une ride, pas un centimètre.
Pas même un grain de beauté.

Seule leur mère savait les reconnaître,
au premier coup d’œil, sans se tromper.

Sarah et Marie.

Elles en jouaient, petites comme grandes, pour rire ou pour tricher.
Jamais personne ne savait qui se cachait derrière Sarah, qui était Marie.
Les professeurs, les voisins, la famille, les policiers…
Tous s’en remettaient aveuglément à leur mère qui les démasquait et les punissait,
leur faisant promettre de ne plus jamais recommencer.

Jusqu’au jour où les deux sœurs parfaites,
aussi incroyable que cela puisse paraître,
rencontrèrent des jumeaux tout aussi parfaits.

Rien ne pouvait les distinguer.
Pas une ride, pas un centimètre.
Pas même un grain de beauté.
Seule leur mère savait les reconnaître,
au premier coup d’œil, sans se tromper.

Mathias et Simon.

Ils en jouaient, petits comme grands, pour rire ou pour tricher.
Jamais personne ne savait qui se cachait derrière Mathias, qui était Simon.
Les professeurs, les voisins, la famille, les policiers… et même les juges !
Tous s’en étaient remis aveuglément à leur mère qui les avait démasqués et punis,
leur faisant promettre, en détention, de ne plus jamais recommencer,
condamnés trois mois qu’ils furent pour usurpation d’identité.

Mais ça, c’était du passé, des bêtises, des erreurs de jeunesse.
Aujourd’hui, ils s’étaient rangés, tenant enfin leurs promesses.
Marie, la première, tomba sous le charme de Mathias.
Elle emménagea rapidement dans sa villa familiale à Jouy-en-Josas.
Puis elle présenta sa jumelle à son frère lors d’un dîner.
Il n’y avait pas de raison que cela ne colle pas entre eux.
Elle ne s’était pas trompée.
Sarah fut séduite par Simon et s’installa dans son grand appartement à Paris,
Quai de Bourbon.

Les deux couples s’amusaient de leurs parfaites liaisons.

« On a les mêmes initiales, c’est trop mignon ! »

Marie et Mathias, Sarah et Simon.

La vie coulait paisiblement, amoureusement, pour chacun d’eux.
Puis très vite, maritalement, avec des enfants, chacun deux.
Un garçon et une fille, tous différents.
Mais avec cette particularité, comme leurs grands-mamans,
de reconnaître leurs parents du premier coup d’œil.

Sept ans passèrent, chacun parfaitement à sa place.
Sarah avec Simon et Marie avec Mathias.
Ce dernier avait repris le restaurant familial, place des Vosges.
C’était sa part de l’héritage.
Quand Simon se rêvait en musicien-poète sur l’île Saint-Louis.
Aux frais de ses ancêtres.
Marie se laissait vivre entre l’amour mesuré de Mathias
et le faste du domaine de Jouy-en-Josas.
Une vie bien rangée.
Sarah, elle, s’émancipait religieusement à la petite école des Francs Bourgeois.
Pour Simon, elle était institutrice et une bonne maîtresse de maison, de surcroît.
Rarement il s’en plaignait.
Elle pas plus d’ailleurs, les enfants suffisaient à son bonheur.

Un soir, chez Simon et Sarah,

Mathias fit du pied sous la table à sa belle-sœur.
Elle ne semblait pas indifférente à son ardeur.
Avant de quitter l’appartement, au bras de sa femme, Marie,
Mathias glissa discrètement un mot dans la poche de Sarah, interdite.

« Demain 16h, Hôtel Émile »

Marie n’y prêta aucune attention.
Elle était ailleurs.
Et pour cause, elle avait scruté son beau-frère toute la soirée.
Simon semblait avoir totalement effacé de sa mémoire ce fameux baiser.
Il y avait deux semaines de cela,
sur le perron de sa maison (à elle), à Jouy-en-Josas.
Ils s’étaient embrassés, à l’impromptu, alors que Simon avait un peu bu.
Un peu trop, sans doute. Maintenant il ne s’en souvenait plus.

Le lendemain matin, pourtant, Marie décida de franchir le pas.
Elle prétexta une visite à sa sœur qu’elle savait pertinemment à l’école.
Mais Simon, lui, était bien là.

« Que je suis sotte, je me croyais mercredi !
– Moi aussi, du coup, te voyant revenir…
– Mais je suis Marie, Simon !
– Han ! Non ! C’est effrayant comme vous êtes pareilles.
– Même voix, même parfum, mêmes boucles d’oreilles ! »

Marie lui répondit du même sourire que celui de sa sœur.

« C’est aussi effrayant pour moi, si ça peut te rassurer.
Vous avez le même mauvais goût pour ces chemises débraillées ! »

Elle éclata de rire. Simon s’en amusa avec elle.

« Il faudrait presque nous faire tatouer nos prénoms sur le front…
Ah ah ah ! J’ai du thé si tu veux, un café sinon ?
– Du thé, je veux bien. »

Elle s’assit sur le canapé, croisa les jambes, réajustant sa jupe au dessus des genoux.
Simon crut à nouveau voir Sarah. Elle avait le même geste délicat.
Ce mimétisme le troubla profondément, quand il disparut dans le corridor.
Lorsqu’il revint avec le thé sur un plateau, ses mains tremblaient encore.

« Attention, c’est chaud !

– Plus chaud que le baiser de l’autre soir ? »

Le plateau claqua simultanément sur la table basse.
La réplique de Marie était cash. Elle voulait savoir.

« J’y repense souvent, tu sais… »

Lui pensait avoir oublié. Simon voyait soudain ressurgir ce sentiment de culpabilité.

« Mais… Marie… Je suis désolé… Je n’aurais pas dû… J’ai honte !
– Pourquoi ? J’en avais envie. Pas toi ?
– Mais… c’est mal ! Pense à Sarah, Mathias… Aux enfants !
– Je sais… Je croyais… »

Elle soupira et baissa la tête. Était-il possible qu’elle se soit trompé ?
Il lui releva le menton, comme il l’aurait fait pour Sarah, avec compassion.
Les yeux de Marie se mirent à briller.

« Embrasse-moi encore, Simon ! »

Il eut l’impression d’entendre sa femme le priant d’un peu plus d’attention.
Elles avaient le même timbre de voix, le même trémolo émouvant.
Il l’embrassa instinctivement après une brève hésitation.
Marie mordit dans ce baiser comme dans une pêche, à pleine bouche, sans retenue.

« Non ! Je ne peux pas. »

Paniqué, Simon la repoussa. Elle n’était manifestement pas Sarah.
Comment pouvait-on embrasser aussi délicieusement ? Il n’avait pas le droit.

« Enfin, pas ici, se reprit-il.
– Où, alors ? s’empressa Marie.
– Je ne sais pas… Heu… »

Comment pouvait-il faire cela à Sarah ? Le désir le titillait, la raison céda.

« Cette après-midi, à l’Hôtel Émile… Quinze heures ! »


2ème épisode…

Marie fut à l’heure. Elle faisait les cent pas devant l’hôtel.

Elle se sentait coupable et à la fois excitée à l’idée d’une liaison dangereuse.
Le souvenir de ce baiser la tiraillait jusque dans le creux des reins.
Elle voulait en croquer encore une fois. Elle avait faim.
Mais pourquoi se prendre soudain de désir pour le parfait sosie de son mari ?
C’était inexplicable et elle ne cherchait pas à se l’expliquer aussi.
Ça faisait des mois que Mathias ne la touchait plus. Et ça ne lui manquait pas.
Il y avait bien longtemps qu’elle ne jouissait plus dans ses bras.
Avait-elle eu un vrai orgasme au moins une fois ? Peut-être, au début.
Peut-être pas. Comment être sûre ?
Plus elle attendait, plus elle ruminait sa culpabilité mais moins que son désir.

« Il ne viendra pas. »

Sa pensée s’envola aussitôt qu’elle le vit de l’autre côté du trottoir.
Son cœur se mit à battre la chamade. C’était la première fois.
Lorsqu’il la reconnut, il traversa comme un fou et se jeta dans ses bras.

« Tu es venue… oh ! »

Il avait ce regard de petit garçon devant un sapin de Noël.
Il la prit dans ses bras comme un cadeau du ciel et l’embrassa ardemment.
Marie fut surprise par tant d’engouement, lui qui hésitait ce matin encore.
Ce baiser était meilleur que l’autre soir, elle crut défaillir un instant.

« Entrons ! » dit-il, l’entraînant avec lui à l’intérieur.

Ils allaient le faire.
Elle était toute excitée et demandait déjà pardon à Dieu, à Mathias et aux enfants. Mauvaise mère, mauvaise épouse, mauvaise chrétienne qu’elle était.

« À quel nom, s’il vous plait ? » demanda le réceptionniste.

Ils se regardèrent. C’est lui qui lâcha le premier :

« Monsieur Gaspard… » et d’ajouter « Mathias ».

Marie l’interrogea, déconcertée. Voilà que Simon se prenait pour son mari.
Il lui sourit tout en prenant la clé qu’on lui tendait.

« Chambre dix-sept ! »

Ils montèrent au premier étage, par l’escalier. La porte claqua derrière eux. Des gémissements se mêlèrent à des frottements successifs de porte, de table, de lit, de draps, de tissus et de peaux. Les voilà nus, bouches ouvertes, langues enchevêtrées dans des baisers incessants, pêle-mêle, un vrai bourbier du désir, les mains cherchant à s’agripper à tous les interdits qui s’érigeaient ostentatoirement contre cette pudeur qu’on leur avait inculquée. Des seins, des fesses, des torses, des reins, des sexes rougis d’une même honte. Ils s’extasiaient à chaque caresse, à chaque geste indécent qu’ils osaient à pleines mains ou pleines bouches, titillant, cramponnant, pénétrant. Les vêtements à terre, les dessous dessus, les draps volant, la peau suant, le plaisir se hissant aux rideaux de la chambre dans des râles qui saisissaient Marie dans le creux de ses reins et qui montaient crescendo jusqu’à trois octaves au dessus.

Jamais elle n’avait chanté aussi haut, même au chœur de la messe.

« Seigneur Jésus Marie Joseph ! »

Trois orgasmes. Deux heures dans cette chambre d’un bordel sans nom pour un plaisir jusque-là inconnu et sans commune mesure, pour l’un comme pour l’autre. Et pour cause, c’était la première fois qu’ils baisaient. Décoiffée, collée à son amant, encore toute chaude et toute tremblante, des frissons sur toute la peau, Marie s’exclama :

« Mon Dieu, qu’est-ce que tu m’as fait, Simon ?
– Ne m’appelle pas Simon, Sarah, s’il te plaît ! Ce n’est pas drôle ! »

Puis il reposa sa tête sur sa poitrine, tel un enfant prostré contre le sein de sa mère après avoir fait une grosse bêtise. Il se confia spontanément.

« Je n’avais pas le droit de faire ça à Marie. Ta sœur est si attentionnée, si parfaite… C’est sûr, ça n’a jamais été comme ça avec elle. Oh Sarah, c’était, hou ! Je comprends que mon frère se soit bien caché de me raconter tes prouesses. »

Marie ne respirait plus depuis quelques secondes.

S’il n’était pas Simon, alors…

Elle ne voulut rien dire sur le moment. Elle n’y croyait pas elle même.
Comment Mathias aurait pu lui faire l’amour ainsi ? C’était impensable, lui qui était tellement réservé, lui qui la regardait à peine, nue, lui qui ne connaissait que la position du missionnaire qu’il accomplissait comme il réciterait l’Angélus.

« Je te salue Marie, pleine de grâce, le seigneur est avec toi, tu es bénie entre toutes les femmes et Jésus le fruit de tes entrailles est béni. »

Elle ne savait pas si son petit Jésus à lui était béni mais cette après-midi, pour la première fois, il venait de la combler d’une grâce divine.

« C’est comment avec elle ? » osa-t-elle demander.

Matthias se laissait caresser les cheveux, sans savoir qu’il parlait à sa femme.
Il se livra sans retenue.

« Oh, tu sais, il ne faut pas juger ta sœur. Elle a un côté pieux… il rit du jeu de mots impromptu. Enfin, je veux dire religieux, qui l’empêche de s’offrir au plaisir de la chair, tu comprends… »

Marie était révulsée d’entendre autant de conneries de la bouche d’un coincé du cul, depuis sept ans qu’ils couchaient ensemble sans qu’il ne lui suggérât la moindre folie en dehors de sa position de mormon missionné pour procréer. Elle avait eu de lui deux enfants et aucun orgasme, jusqu’à ce jour. Maintenant elle en était sûre.

« C’est une femme sensible et pudique. Et si fragile, crut-il bon d’ajouter. Parfois, c’est con ce que je vais te dire, mais j’ai peur de la brusquer, de lui faire mal. Oh Sarah ! Vous êtes tellement différentes…
– Tellement. »

Marie se retourna et ferma les yeux. Elle ne l’écoutait plus, elle réfléchissait à la situation. C’est en se rhabillant, sous le regard amoureux de cet amant authentique qui n’était autre que son mari, qu’elle décida de ne rien dire et de vivre une double vie avec le même homme. Il y eut d’autres fois, quasi une par semaine, aussi gênées qu’embrasées, de plus en plus décomplexées, Marie découvrait sa sexualité quand Mathias explorait une partie de ses fantasmes.

Puis vint cette première soirée cocasse chez Sarah et Simon.

Marie défiait la lâcheté de son beau-frère par des regards provocateurs. Ce dernier se défilait derrière des attentions appuyées à l’égard de sa femme comme pour signifier à Marie qu’il tenait trop à sa sœur pour oser lui faire du mal.

À côté, Mathias dévisageait également Sarah avec une insistance qui la mettait mal à l’aise. À la moindre occasion, il se frottait à elle, l’effleurait de la main ou du pied sous la table. Elle profitait du regard amoureux de Simon pour faire comprendre à son beau-frère qu’elle n’était pas prête à tromper son mari. Seulement, Mathias, persuadé de l’existence de leur liaison, pensait qu’elle simulait l’épouse parfaite pour ne pas éveiller les soupçons. Quand il lui emboîta le pas dans la cuisine, prétextant de l’aider à apporter le dessert.

«  Il me tarde d’être demain.
– …
– Je ne peux plus me passer de toi.
– …
– Tu m’as rendu fou.
– …
– On refera le lotus si tu veux…
– Hein ? Le lotus ? De quoi tu parles ? »

C’est alors qu’entra Simon avec un grand sourire adressé à son épouse.

« Ah ! J’en étais sûr. Tu nous as fait ta tarte aux pruneaux. Tu es un amour ! »

Puis il l’embrassa tendrement dans le cou, enroulant ses bras affectueusement par-derrière, une démonstration de tendresse qui tombait bien et qui fit frémir Sarah sous le regard embarrassé de Mathias.

Simon s’adressa alors à son frère sans imaginer le mal qu’il pouvait lui faire :

« Mathias, cette femme-là est une perle. En cuisine… Comme dans tout ce qu’elle fait d’ailleurs ! »

Sarah rougit s’extirpant de son emprise. Mathias fut pris d’une jalousie terrible.
Comment pouvait-elle être aussi une perle avec lui ?

« Tiens, Mathias ! dit-elle, emmène ça à table, s’il te plaît ! »

L’amant éconduit n’eut pas d’autre choix que de prendre la tarte des mains de Sarah, non sans appréhension de les laisser seuls derrière lui, se retournant une dernière fois avant de les perdre de vue.

« Qu’est-ce qui t’arrive, mon chéri ? On dirait que tu viens de voir la vierge. »

Marie s’amusait de la situation, voyant son époux complètement déboussolé.
Mathias se ressaisit et sourit hypocritement à sa pauvre femme qu’il croyait tromper.
Elle était assise, bien droite dans le canapé, avec la même robe courte qu’il avait retirée à Sarah, une de ces après-midi, à l’hôtel.

« Décidément, elles se copient jusque dans leurs vêtements.
Il n’y aura finalement que sous les draps que je saurai les distinguer. »

Des pensées l’envahissaient alors qu’il posait le gâteau sur la table, tout en scrutant le corridor. « Qu’est-ce qu’ils foutent ? »

Marie l’interpella à nouveau :

« Mathias, houhou ! … je te parle.
– Heu, oui oui, ma chérie… J’étais dans mes pensées. Voilà le dessert.
Heu… Une tarte aux pruneaux, je crois… Elle a l’air très bonne ! »

Marie sourit sournoisement à son tour. Nigaud !

Mais elle ne lui en voulait pas.
Ils se voyaient demain comme deux amants dans la peau de deux autres.

C’était aussi invraisemblable qu’excitant.


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