Les brèves du Café…

Le vieux

Le Tonio est un de ces patrons auvergnats qui achètent tous les fonds de commerce parisiens qui se libèrent. Il n’y a pas de limite à faire des affaires. Et en bon auvergnat, il n’y a pas de limite à faire des économies. Pas question de revoir la déco ou encore de changer l’enseigne.

« On est là pour vendre des consommations, pas pour se la jouer dans un décor de cinéma ! »

Et tant mieux, parce que Françoise, elle n’aurait pas supporté. Le Café de la Page blanche, c’est l’idée du Vieux comme il se faisait appeler avant qu’il ne vende l’affaire sans que personne n’en connaisse la raison. Pas même Françoise.

Seuls Fernand et elle l’ont côtoyé. Françoise a fait ses débuts avec, il y a dix ans, il lui a appris le métier et bien plus.

« I z’ont coussé enzemble ?
– Je ne crois pas, Zozotte. Et après, ça changerait quoi ? En tout cas, elle avait le sourire, c’est sûr ! »

Fernand était le plus fidèle des clients. Il trouvait dans ce café une inspiration qu’il ne s’expliquait pas. Le Vieux lui avait insufflé l’envie d’écrire.

« Ca a été une vraie révélation.

– Ah ouais ?
– La première fois que j’ai eu une feuille blanche entre les mains, je ne voyais rien. Et puis il est venu vers moi. Il s’est assis.
– Et après ?
– Il m’a demandé pourquoi je n’écrivais rien. Je lui ai répondu que je n’avais rien à raconter sans doute, que l’écriture et moi, ça faisait deux.
– Et alors ?
– Il m’a rétorqué : « et alors, tu n’aimes pas être à deux ? ». Sur le coup j’ai pas compris. Et puis il a tourné la feuille vers lui et s’est mis à lui parler : « Excusez-le, c’est un rustre, il ne sait pas parler aux demoiselles, une belle page blanche comme vous, immaculée avec ce joli petit liseré bleu, pas une tâche, ni de gras, ni de vin, alors que lui… Regarde ta chemise ! Tu aurais pu changer de chemise avant de la sortir ! ». Il a continué ainsi pendant dix bonnes minutes. Il parlait bien, je souriais, je me prenais à son jeu. Jusqu’au moment où il s’est levé…

– Et alors, et alors ?

– Il a remis la feuille bien droite devant moi et s’est excusé : « Je vous laisse, j’ai du travail. Vous avez sans doute plein de choses à vous dire ». Et il m’a fait un clin d’œil avant de retourner en cuisine.
– Et qu’ez’ t’as fait ?
– J’ai écris comme jamais je n’avais écrit, à cette femme-feuille, la première de mon existence. Je l’ai gardée chez moi. Puis chaque jour qui a suivi, j’ai entrepris une correspondance avec elle avant de passer à d’autres sujets. J’avais plein d’idées en moi que je ne soupçonnais pas. C’était fabuleux.
– Whoua ! C’est beau ! … Tu me feras lire zet’ correzpondanze, dis ?
– Peut-être, je ne sais pas. Le plus dingue, c’est que je n’arrive pas à écrire ailleurs qu’ici. C’est comme si j’avais besoin de sentir sa présence. Pour moi, il n’est pas parti. En tout cas son souffle, l’inspiration quoi, ne m‘a pas quitté. Il est resté dans ce lieu, intact. Je le sens presque physiquement. Et pour ça, je peux remercier Tonio.

– Ah mais lui, il zait écrire que des addizions et te zouffler dans les bransses quand tu vas pas azzez vite…

– Les bronches, Zozotte, on dit souffler dans les bronches.
– Z’est pas z’que z’ai dit ? Qu’ez’ te zers ze matin, une noizette ?
– Parfait ! … avec une tartine s’il te plaît. »

Vous voulez la suite ? … cela ne dépend que de nous  !

Le décor est planté ! La rubrique Brèves du Café nous attend pour animer ce petit monde selon notre imagination et notre culture sitcom, série télé ou scène de théâtre !

Les brèves du Café…

Zozotte

Elle s’appelle Marie Elisabeth mais tout le monde l’appelle Zozotte. Petite, c’était la Zaza à son papa, la Maelle à sa maman. À l’école Jeanne d’Arc de Mâcon, c’était tantôt Maelle, tantôt Bébeth ou Sossotte. Ce n’était pas de sa faute, elle souriait tout le temps, d’un sourire édenté assimilé sot… méchamment, comme peuvent être les enfants. Aujourd’hui, tout le monde l’appelle Zozotte. Tous, sans exception ! Vous le comprendrez aisément.

« Bon, za va ! t’es pas oblizé de raconter ma vie quand z’étais p‘tite ! »

Pourtant Zozotte aime bien raconter sa vie, depuis qu’elle est grande, du haut de son mètre 84. Fernand l’écoute attentivement, chaque matin, devant son café, au comptoir, puis chaque midi, à la table 7 de la terrasse du restaurant. Il prend des notes, l’enregistre parfois. Parce que Fernand est écrivain. Enfin, c’est ce qu’il dit, même si, au café personne ne le croit capable d’alimenter autre chose qu’un journal intime de ses déceptions amoureuses. Mais Zozotte, elle, n’a que faire des commentaires de l’assistance. Elle l’aime bien son écrivain, surtout parce qu’il parle d’elle dans ses cahiers.

« Mais zi, il zait écrire, qu’ez’ti connais toi aux livres, tu lis que des zournaux zaunes avec des grozzes lettres et des tâzzes de gras ? »

Son patron, le Tonio, un Portugais auvergnat qui a appris son métier avec les bougnats de la capitale, tout pour lui rien pour les autres, elle ne le portait pas dans son cœur, la Zozotte.

« Les z’auvergnats, z’est les pires. Portugais en plus, za arranze pas !
– Hof ! … ils ne sont pas tous comme ça, c’est lui qu’est con et puis c’est tout ! »

Françoise, elle n’était pas compliquée. Pour elle, la France était divisée en deux. D’un côté les cons et de l’autre les gens à qui elle parle. Et aussi incroyable que cela puisse paraître, cela faisait deux mois qu’elle bossait au café, elle n’avait jamais prononcé un mot envers son employeur. En guise de bonjour, de oui, de non, de va te faire foutre ou encore de salut je me casse, elle utilisait la même interjection sur des tons appropriés avec quelques variantes :

« han ! … han han ! … hof ! … rrrhan ! …  hum … haaaaaaan ! »

Mais lui s’en foutait. « Business is business ! », c’était sa devise. « Mieux vaut une chieuse qui bosse bien qu’une lèche-botte qui fout rien ». Et c’est vrai qu’elle dépotait la Françoise. Elle avait un joli sourire, une gouaille d’effrontée et des mensurations qui, tous réunis, parvenaient à un bon compromis pour une clientèle aussi variée qu’au Café de la Page blanche.

Zozotte l’aimait bien Françoise. Elle l’enviait car elle avait une taille idéale et quinze centimètres de moins qu’elle. Zozotte n’arrêtait pas de heurter le lustre que le Tonio avait eu la bonne idée d’installer au milieu dela salle. Du haut de son mètre 65, il ne risquait pas de s’ouvrir la tête, lui. « Et combien même, rajoutait souvent Françoise, ça ne détériorerait pas grand-chose là-dedans ! »

Dix fois par jour, elle se cognait, la Zozotte. Ca faisait marrer la clientèle.

« Baisse la tête Zozotte ! » pouvait-elle entendre dans la salle à tour de rôle. Il est vrai qu’elle avait la tête en l’air, au sens propre comme au figuré. Une rêveuse. C’est ce qu’aimait Fernand en elle, son insouciance, sa spontanéité candide.

« Zui trop grande, Franzoize !
– Commence par ne plus mettre de talons, après on verra !
– Oh, mais Zorg aime bien, zinon za fait pas femme qu’i dit !
– Han, han ! … Ben alors mets un casque ! … tiens, c’est pour la 7, ton écrivain !
– Fernand ! »

Zorg, c’est le petit ami qu’a déniché Zozotte, l’année dernière, enfin !!! … Elle désespérait de trouver un homme de plus de cinq centimètres qu’elle, elle avait mis la barre haute sur Meetic. Et là, ce danois, venu faire des études en France était un envoyé de Dieu. Parce que Zozotte, elle est croyante en plus. Catholique, non pratiquante.

« Zauf à Noël et à Pâques, ze manze du poizzon quand même !
– Mais ce n’est que le vendredi saint, Zozotte ! lui rétorque toujours Françoise !
– A zaque fois z’oublie, alors z’en mange les deux fois. Vendredi Zaint z’est le vendredi avant le vingt zinq dézembre, z’est za ?
– C’est ça ! »

Il ne fallait pas parler religion à Françoise, c’était de l’herbe pour moutons.

Au moins de ce point de vue là, Zozotte et le Tonio partageaient leurs croyances quand Françoise leur balançait des « han » d’indifférence en haussant les épaules.

« Tiens, Fernand, des zencornets, comme t’aime ! … touze pas à l’azziette z’est très zaud !
– Merci Zozotte ! .. hum, ça sent bon !
– Alors il avanze ze roman ?
– Ce n’est pas un roman, je t’ai déjà dit. Il s’agit d’un essai sur le quotidien d’une serveuse, un recueil d’instants volés, tu vois ?
– Mais tu m’voles rien, moi z’te donne. Comment tu m’as appelée déza dans ton roman ?
– Zézette, mais peu importe ! … Si ça ne te dérange pas, j’attaque tant que c’est chaud !
– Oui, oui ! … tu veux le gros poivre ? … Zézette, z’est rigolo ! … T’entends, Franzoize, ze m’appelle Zézette dans zon livre ! »

Vous voulez la suite ? … cela ne dépend que de nous  !

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