Elle est passée où la magie de Noël ?
Je ne vois qu’une machine, en route depuis un mois, qui avale tout sur son passage, engloutissant les idées, les cadeaux avec leurs rubans et papiers d’emballage, ne laissant aucun répit à l’envie, au plaisir, celui d’avoir, celui d’offrir, balbutiés dans des commandes, des listes, jamais assez longues pour satisfaire des enfants insatiables et des adultes plus au garde à vous qu’au prend garde à eux, dépassés, en manque d’idées.
Parce que le problème, au fond, ce n’est pas tant qu’il y a trop de cadeaux, c’est surtout qu’il y a trop de sapins !
Un chez maman, un chez papa, un chez mamie, un chez mamou. Et sous chaque sapin, deux, trois, quatre cadeaux par enfant car ce serait oublier tatie Line et tonton Paul ou encore tata Jeanne et tonton Richard.
Il est loin le temps où il n’y avait qu’un seul sapin, qu’un seul cadeau.
C’était le temps où on prenait le temps d’avoir envie, de sentir, de décorer. L’avant Noël était déjà une fête, un premier cadeau que l’on partageait dans la joie, l’excitation, l’espoir, d’avoir peut-être, ce cadeau-ci, ce cadeau-là. C’était le temps où le matin de Noël, en pyjama, on s’extasiait d’avance, scrutant chaque paquet, cherchant le sien… le mien, mon cadeau, se réjouissant de sa couleur, sa forme, il a l’air lourd comme un camion, il est gros comme un nounours, il est plat comme le tableau de la maîtresse, il fait du bruit comme des pièces de Légo. On ne l’a pas encore ouvert que déjà on s’émerveille, on s’invente d’autres cadeaux. Les rubans feront une attache pour les cheveux de ma Barbie, celle que j’ai eue l’année dernière. Je veux le même papier dans ma chambre avec les voitures. Pourvu que ce soit le jouet que j’ai découpé dans le catalogue, j’espère, j’espère… le cœur bat. J’ouvre. J’y crois. Ouiiiiiiii ! Je suis le plus heureux, la plus heureuse du monde ! Père Noël ou mère veillant sur moi, merci, ô merci !
Me voilà tonton Tonio, sur la ligne de départ de cette course folle, cette chasse aux trésors qui se déroule le long de grands boulevards éclairant des vitrines aux figurines chargées de l’animation. Je suis là, au milieu d’un million d’illuminés qui prennent d’assaut l’entrée des galeries creusées par un certain Lafayette au printemps, je lis.
Qu’est-ce qui pourrait bien leur faire encore plaisir à ces sales gosses ?
Parce qu’ils ont déjà tout ! … Et l’autre, là, qui m’a doublé sur mon idée, sans compter les papis et les mamies qui se sentent obligé d’en faire deux, c’est plus fort qu’eux, c’est dans leurs gènes, que voulez-vous ? Quand moi je reste las, avec une gêne grandissante tant je ne pense qu’à une chose… déguerpir.
Ca sent le sapin.
La magie de Noël n’agit plus, j’ai plus envie de jouer, plus envie de courir pour un cadeau de plus, un cadeau de moins, la belle affaire… T’as eu quoi à Noël ? … Voilà une question bien embarrassante pour ce malheureux plus gâté que sa jeune mémoire ne peut contenir.
Je dépose les armes, mon Général, j’abdique, je me rends… atterré par cette déferlante humaine à la caisse, des gens marteaux, par milliers, alignés comme dans The wall des Floyd, me tapant dessus pour que j’avance, me plantant là entre ces quatre murs sur les planches de ce grand magasin. Je me couche, je suis mort.


