Les brèves du Café…

L’émotion des idées

Tonio, jean, surtout pas délavé, chemise en dedans, faisant ressortir ce ventre rond, désastre d’une vie derrière le comptoir à enquiller les demis, un pour toi, un pour moi, lui qui était affûté à l’âge de dix-huit ans, numéro dix et capitaine de la Séléccào de la porte de Vanves dans le championnat de football du dimanche matin avant d’entrer dans la vie professionnelle tracée par son père qui tenait le bar-restaurant Lusitanos de la rue Didot, Tonio et ses multiples clefs accrochées à la ceinture, débarquait au café, à 10h30, comme chaque matin quand Zozotte passait l’aspirateur dans un boucan infernal, chantant à tuer toutes les têtes avec des oreilles encore en état d’ouïr.

« Bonjour Marie-Elisabeth ! » s’amusait-il à saluer ainsi chaque matin, Zozotte.

Aucune réponse ne semblait venir du mètre quatre-vingt quatre qui s’employait à astiquer, le nez sur la moquette et le derrière en trompette.

Peu importe, le patron s’installa à une table après s’être servi une noisette noyée de lait, comme Françoise appelait son café du matin. Car à chaque fois il versait tout le pot de lait jusqu’à ras bord dans son expresso, servi dans une grande tasse, toujours.

Le vacarme de l’aspirateur cessa. Une voix nasillarde se fit entendre dans le fond avec éclat : « Bonzour patron ! »

Un hochement de tête à peine détournée d’un bout de papier sur la table la salua à nouveau, avec un bonjour inaudible entre les dents.

« Depuis quand qu’vous z’écrivez patron ?

– Mais depuis que j’tiens ce café ! » répond sèchement Tonio agacé que la plume ici dans son propre café soit dressée en éloges sur les têtes pensantes des autres quand pour lui elle est tout juste plantée dans le trou du cul de sa culture.

Tonio n’était pas si inculte, il avait son humour et il n’avait honte de rien, deux qualités qui l’ont toujours fait avancer, reconnaissaient ses proches.

« Mais vous z’écrivez quoi ?
– Tiens, lis ça et dis moi ce que tu comprends ! »

Il lui tendit la feuille noircie à l’encre bleue qui interpella aussitôt Zozotte.

« Ben, on dirait l’écriture de Fernand. Vous z’écrivez comme… »

Elle s’interrompit comprenant que ce ne pouvait être que l’écriture de Fernand.

« Lis ! »

Elle lut à voix haute :

« Vivre une vie cultivée et zans pazzion, au zouffle caprizieux des z’idées, en lizant, en rêvant, en zonzeant à écrire…
– Continue !
– … une vie zuffizamment lente pour êt’ touzours au bord de l’ennui, suffizamment réfléssie pour n’y tomber zamais.
– Continue, continue !

– Vivre zette vie loin des z’émotions et des penzées, avec zeulement l’idée des z’émozions, et l’émozion des z’idées.

– C’est quoi ça, l’émotion des idées, hein ? »

Zozotte resta interloquée ne sachant vraiment quoi répondre.

« Et bien moi j’dis que j’aime mieux être à ma place, ajouta Tonio. Il m’a l’air bien perturbé notre ami.
Mais z’est beau, z’est bien écrit, lâcha-t-elle, à court d’autres arguments.
– C’est beau, soit. C’est de la poésie. On peut aligner des mots sans qu’on soit obligé de comprendre, c’est ça ? renchérit-il.
– Ze zais pas, balbutia à nouveau la serveuse, embêtée. Des vois on peut pas tout comprendre dans les livres. Z’ai pas fait azzez d’études pour… 
– C’est ça, l’interrompit Tonio, c’est des mots pour intellectuels qui se comprennent entre eux. Moi je préfère encore les blagues de Bigard à ce charabia. Au moins je sais pourquoi j’rigole !
– Pff ! »

Zozotte haussa les épaules, convaincue que son Fernand était un grand écrivain et que s’il avait écrit cela, c’est que ça voulait dire bien plus encore que les mots dont elles connaissaient le sens dans le dictionnaire mais bien moins une fois assemblés entre eux.

Justement, Fernand arrivait comme chaque lundi matin, vers 11h.

« Bonjour !
– Bonjour !
– Bonzour Fernand !
– Tiens t’as laissé ça sous la table hier soir. Désolé si c’est un peu froissé.
– Oh, merci beaucoup Tonio. Je le cherchais justement ce matin. Ca m’fait un souci de moins.
– A nous aussi, répond Tonio, à nous aussi !
– Pff ! »

Zozotte haussa à nouveau les épaules quand son patron disparut derrière le comptoir.

« Qu’est-ce qu’il a voulu dire, Zozotte ? demanda Fernand interloqué.
– Oh, rien, il est zaloux, z’est tout ! »

Après un moment d’hésitation, Zozotte ajouta :

« Dis Fernand, za veut dire quoi l’émozion des z’idées ? »

Vous voulez la suite ? … cela ne dépend que de nous  !

Le décor est planté ! La rubrique Brèves du Café nous attend pour animer ce petit monde selon notre imagination et notre culture sitcom, série télé ou scène de théâtre !

Et n’oubliez pas, les Brèves d’Ovalie se mettent à jour chaque week-end… ou presque !

Vous pouvez suivre les articles directement en vous ABONNANT au blog : mondialrugby2011.canalblog.com/

Je n’ai jamais d’idée…

António Lobos Antunes.

Je suis allé à la rencontre* de ses chroniques, comme je suis entré la première fois dans le coeur de l’Alfama, à Lisbonne, errant dans ses rues étroites, sans plan
(on comprend vite que cela s’avère inutile)
sans chercher à me rendre à un point B
(sachant que je serais incapable de vous dire d’où partait le point A).

Et quelle n’a pas été ma surprise, ma stupéfaction même !

devant cette sensation douce et tranquille de se sentir soi, chez soi, où les couleurs, les odeurs des mots vous parlent, vous portent, vous ramènent là où vous ne vous souveniez plus avoir été
– mais je n’y suis jamais allé !
dans l’écriture, dans ce pays, dans cette ville, au milieu de ces âmes vives et vraies, d’un passé qui lui appartient et qui m’appartient soudain, une complicité naissante qui se crée au fil des pages, la même qui m’a submergé depuis ces escadinhas (petits escaliers) dont la septième marche m’ouvrait avec bonheur un bras du Tage, quand la onzième le recouvrait d’une vague de draps blancs pendus à des fenêtres.

Tout se mêle dans ce livre, cris de l’intérieur, odeurs de l’enfance,  couleurs des écrits qui peignent les murs d’une existence. Tous se mêlent, dans ces rues qui ne font qu’une, de ceux qui les regardent, comme moi, et de ce qui ne les regarde pas, surtout. On entend les enfants jouer au loin, la voix chantante d’une Amalià
– Zé ! .. Zé ! … c’est pour aujourd’hui ou pour demain ?
couvrir l’orchestre de la rue, le grillé des sardines vous emplit les narines quand un vent de lessive l’emporte aussitôt au large du fleuve de paille.

Oui, on peut dire que j’ai aimé ses chroniques,

son style, sa perception de l’écriture, et notamment de la page blanche, point de rencontre de tout écrivain ou écriveur en vain, comme ici au Blog-Café, avec les premiers mots, l’inspiration, un rendez-vous avec l’histoire, avec un petit h et qui finit souvent avec un grand euh…

Pas de panique, en bon chasseur de mots, d’idées, assis, à attendre le gibier, laissez-le venir à vous. C’est ce qu’António nous livre dans sa « chronique pour ceux qui aiment les histoires de safari » :

« Je n’ai jamais d’idée, commence-t-il ;

je me limite à attendre le premier mot, celui qui entraîne les autres derrière lui. Il y a des fois où il vient tout de suite, et d’autres où il met des siècles. C’est comme chasser des antilopes sur la rive du fleuve : on reste adossé à un tronc jusqu’à ce qu’elles arrivent, en silence, sans parler. Et voilà qu’un petit bruit s’approche : la chronique, méfiante, regarde de tous côtés, avance d’un rien la patte d’une phrase, prête à se sauver à la moindre distraction, au moindre bruit. Au début, on la voit à peine, cachée dans le feuillage d’autres phrases, de romans écrits par nous ou par d’autres, de souvenirs, d’imaginations. Puis elle devient de plus en plus nette quand elle s’approche de l’eau du papier, qu’elle prend de l’assurance, et la voilà, toute entière, qui penche le cou en direction de la page, prête à boire. C’est le moment de viser soigneusement avec son stylo-bille, en cherchant un point vital, la tête, le cœur
(notre tête, notre cœur)
et quand nous sommes sûrs de bien avoir la tête et le cœur dans la mire, de tirer : la chronique tombe devant nos doigts, on dispose ses pattes et ses cornes de façon à ce qu’elle soit présentable
(ne pas en faire trop, pour que l’attitude ne soit pas artificielle)
et on l’envoie à la revue. »

Juste… limpide. Des mots sauvages, chassés dans la brousse de notre imagination ou des mots d’élevage, en batterie, soigneusement sélectionnés pour alimenter une production de best-sellers. Ma caricature est facile mais tellement claire dans mon esprit qui rejoint cette pensée que j’adore
(et je finirai cette chronique naissante là-dessus)

« Comment ça le roman portugais, ou américain, ou espagnol. Cessez de dire des bêtises :

les seuls livres qui peuvent devenir bons
(et ce n’est jamais certain)
sont ceux dont on a la certitude qu’on n’est pas capable de les écrire »

(extrait de la chronique « Explication aux béotiens »)

Je vous laisse méditer là dessus, en vous invitant sur une page blanche, si vous aimez les histoires de safari, bien sûr !

(*) Merci Pascal !
 

En travaux

Ce blog est en construction … Il n’ouvrira ses portes qu’au printemps prochain !

Le chantier reste ouvert au public … toutes vos idées et remarques étant les bienvenues !

A bientôt !

Le café de la page blanche.