Satanée liberté d’expression !

Les pages blanches ont beaucoup à faire depuis quelques jours pour penser les plaies de notre société, béantes de crétinerie et de haine.

L’encre a assez coulé.

Au café, une de nos pages se froisse, ses mots n’ont qu’à bien se tenir.

« Stop ! Restez là, groupés !
– Pas d’éclats, s’il vous plaît !
– Non, non, j’ai dit ! … Blasphème, reviens ici s’il te plaît ! 

– Oui mais nous on veut jouer !

– J’ai dit non, c’est non ! … C’est trop dangereux dehors !
– Mais pourquoi ? …les dessins, ils ont droit eux ?
– Ca les regarde !
– Il est où M…
– Chut ! … laisses-le tranquille. Tu le cherches tout le temps et après tu te plains que ça finisse mal.
– Mais il est où, je veux juste jouer ? Promis on reste tranquille !
– Il est dans sa chambre et il ne sort pas jusqu’à nouvel ordre, point !

– Oncle Charlie, oncle Charlie !! … tu nous emmènes, dis ! … s’il te plaît !!!

– Ah ben te voilà toi ! … t’as encore fais des tiennes ! Décidément, c’est plus fort que toi !
– …
– Oncle Charlie, Oncle Charlie !! …
– Taisez-vous ! … filez dans vos chambres !
– Comment veux-tu que l’on éduque nos mots si tu les mets dans cet état ?
– …
– Hein, ben réponds ! … T’as vu comment ils sont excités ? … tu pourrais tenir les tiens !
– Qu’est-ce que tu veux entendre ? Ce ne sont que des enfants, avec leur insouciance, leur vérité crue. Ils ont besoin de courir à travers sens, escalader des montagnes pour voir ce qui se cache derrière…
– Sornettes ! … fais preuve de responsabilité pour une fois, Charb !
– La responsabilité, le mot d’ordre a parlé. Et ses moutons le suivent de son altitude morale jusqu’à l’avaler … par terreur.
– Tu réponds toujours à côté, tu m’fatigues ! …  t’es vraiment incorrigible !

– C’est ma nature, consœur, c’est ma nature ! »

Au café, nos pages blanches accueillent vos mots comme ils sont, avec leur enthousiasme, leur verve et leur créativité, même débordante, dans un bon état d’esprit, toujours.

Nous demandons juste qu’ils soient un minimum propres, qu’ils ne fassent pas sur eux, quoi…  qu’ils soient sains… oups !… sans ‘t’ bien sûr !
.

Ce plaisir…

Ecrire.

Avec un stylo bille, feutre ou plume ou encore un crayon à papier, la mine taillée sur mesure aussi précisément qu’une barbe qui caressera sans la heurter, la peau douce et fragile de ma dame… la Page Blanche, ce n’est pas le même plaisir.

Ecrire.

Avec un clavier, Azerty ou Qwerty, d’un ordinateur fixe ou portable, depuis une tablette ou un téléphone blackberry, I Phone ou autres Android derniers cris, c’est encore autre chose.

Je ne parle même pas de l’écriture vocale via un dictaphone ou autre appareil enregistreur.

Ecrire.

Avant même que les premiers mots d’une idée, une histoire n’ait germé dans la tête.

Ecrire.

Prendre un crayon, un stylo entre ses doigts, le triturer, gratter des lettres, des formes et des mots sur une feuille, comme si on les dessinait, sans avoir au départ le moindre but, le moindre projet, c’est aussi un plaisir que l’on retrouve chez les musiciens. Le stylo, le crayon, est son instrument. Son toucher, son contact avec la feuille lui donne envie d’écrire comme le bec d’un saxophone de souffler dedans et produire une note, s’essayer à la baisser d’un demi-ton ou de jouer toute sa gamme.

Le plaisir de lire un mot écrit qui épouse l’autre, le même plaisir d’entendre  une note jouée et d’aimer l’écart mineur ou majeur avec la précédente. On s’attarde dessus comme on s’attarde sur une idée qui germe à partir d’un ou plusieurs mots. Ainsi naît la musique, sa musique !

Ecrire.

C’est un plaisir que j’ai découvert en me posant devant une page blanche, avec un mot parfois en tête, un sentiment souvent au coeur, beau comme une couleur ou triste comme un dégradé de gris auquel je n’avais pas de mot à associer… enfin je le croyais.

Puis elle arrive, avec sa horde de mots en vrac mais déterminés. Ce sont des bons, ce sont les bons, parce que évidents, non calculés. Je les pose sur ma feuille blanche, gêné, presque pour ne pas les contrarier. Et puis je me surprends à être ému par eux.

J’écris.

Elle est là, l’idée, avec l’excitation du premier lecteur que je suis et qui se demande où l’auteur l’emmène. Mais… mais l’auteur c’est moi ! … L’excitation grandit, une sensation de pouvoir même s’installe.

J’écris.

Les images sont nettes, les odeurs distinctes, la musique dans le bon tempo. Je me laisse porter par ce sentiment qui ordonnent mes mots. Ils prennent forme sur ma feuille, une forme littéraire que je ne me connaissais pas.

Une complicité est née. La feuille blanche est devenue mon alliée, je sais que des mots, toujours plus nombreux, viendront à ma rescousse. Vingt ans que j’écris, ils ne m’ont jamais laissé tomber.

Ecrire.

Avec un stylo, un crayon, ce plaisir est devenu plus rare, je dois l’avouer, le stockage électronique offrant tant de facilités, surtout quand on écrit souvent. Fini la gomme, fini les ratures, fini l’écriture illisible, fini surtout de recopier le soir !

Et pourtant parfois, j’ai la nostalgie de ces instants, je me surprends à gratouiller sur une feuille et je me revois au pied de cet arbre à chercher l’inspiration, la boule au ventre tant les émotions me dictaient les mots qui ne demandaient qu’à être les élus de mon cœur.

Ecrire.

Quel que soit le support, le moyen, ici dans ce blog-café, derrière mon clavier ou dehors sur un banc derrière un bloc-notes, c’est toujours un moment de plaisir entre les mots et moi.

L’émoi devient sublime quand les mots surgissent et me surprennent, quand l’inspiration me submerge et tout semble si facile, instant rare où je ne me regarde pas écrire, où je laisse les mots prendre les commandes et mes doigts exécuter leur figures capricieuses, insolentes et aussi légères qu’une plume qui ne cherche plus son style, qui s’accepte tel que je suis.

Ecris !

De quel instrument joues-tu, toi ? … clavier, crayon, stylo-plume ? … Quel style de musique ? … Partageons ici ce plaisir d’écrire  !

Je n’ai jamais d’idée…

António Lobos Antunes.

Je suis allé à la rencontre* de ses chroniques, comme je suis entré la première fois dans le coeur de l’Alfama, à Lisbonne, errant dans ses rues étroites, sans plan
(on comprend vite que cela s’avère inutile)
sans chercher à me rendre à un point B
(sachant que je serais incapable de vous dire d’où partait le point A).

Et quelle n’a pas été ma surprise, ma stupéfaction même !

devant cette sensation douce et tranquille de se sentir soi, chez soi, où les couleurs, les odeurs des mots vous parlent, vous portent, vous ramènent là où vous ne vous souveniez plus avoir été
– mais je n’y suis jamais allé !
dans l’écriture, dans ce pays, dans cette ville, au milieu de ces âmes vives et vraies, d’un passé qui lui appartient et qui m’appartient soudain, une complicité naissante qui se crée au fil des pages, la même qui m’a submergé depuis ces escadinhas (petits escaliers) dont la septième marche m’ouvrait avec bonheur un bras du Tage, quand la onzième le recouvrait d’une vague de draps blancs pendus à des fenêtres.

Tout se mêle dans ce livre, cris de l’intérieur, odeurs de l’enfance,  couleurs des écrits qui peignent les murs d’une existence. Tous se mêlent, dans ces rues qui ne font qu’une, de ceux qui les regardent, comme moi, et de ce qui ne les regarde pas, surtout. On entend les enfants jouer au loin, la voix chantante d’une Amalià
– Zé ! .. Zé ! … c’est pour aujourd’hui ou pour demain ?
couvrir l’orchestre de la rue, le grillé des sardines vous emplit les narines quand un vent de lessive l’emporte aussitôt au large du fleuve de paille.

Oui, on peut dire que j’ai aimé ses chroniques,

son style, sa perception de l’écriture, et notamment de la page blanche, point de rencontre de tout écrivain ou écriveur en vain, comme ici au Blog-Café, avec les premiers mots, l’inspiration, un rendez-vous avec l’histoire, avec un petit h et qui finit souvent avec un grand euh…

Pas de panique, en bon chasseur de mots, d’idées, assis, à attendre le gibier, laissez-le venir à vous. C’est ce qu’António nous livre dans sa « chronique pour ceux qui aiment les histoires de safari » :

« Je n’ai jamais d’idée, commence-t-il ;

je me limite à attendre le premier mot, celui qui entraîne les autres derrière lui. Il y a des fois où il vient tout de suite, et d’autres où il met des siècles. C’est comme chasser des antilopes sur la rive du fleuve : on reste adossé à un tronc jusqu’à ce qu’elles arrivent, en silence, sans parler. Et voilà qu’un petit bruit s’approche : la chronique, méfiante, regarde de tous côtés, avance d’un rien la patte d’une phrase, prête à se sauver à la moindre distraction, au moindre bruit. Au début, on la voit à peine, cachée dans le feuillage d’autres phrases, de romans écrits par nous ou par d’autres, de souvenirs, d’imaginations. Puis elle devient de plus en plus nette quand elle s’approche de l’eau du papier, qu’elle prend de l’assurance, et la voilà, toute entière, qui penche le cou en direction de la page, prête à boire. C’est le moment de viser soigneusement avec son stylo-bille, en cherchant un point vital, la tête, le cœur
(notre tête, notre cœur)
et quand nous sommes sûrs de bien avoir la tête et le cœur dans la mire, de tirer : la chronique tombe devant nos doigts, on dispose ses pattes et ses cornes de façon à ce qu’elle soit présentable
(ne pas en faire trop, pour que l’attitude ne soit pas artificielle)
et on l’envoie à la revue. »

Juste… limpide. Des mots sauvages, chassés dans la brousse de notre imagination ou des mots d’élevage, en batterie, soigneusement sélectionnés pour alimenter une production de best-sellers. Ma caricature est facile mais tellement claire dans mon esprit qui rejoint cette pensée que j’adore
(et je finirai cette chronique naissante là-dessus)

« Comment ça le roman portugais, ou américain, ou espagnol. Cessez de dire des bêtises :

les seuls livres qui peuvent devenir bons
(et ce n’est jamais certain)
sont ceux dont on a la certitude qu’on n’est pas capable de les écrire »

(extrait de la chronique « Explication aux béotiens »)

Je vous laisse méditer là dessus, en vous invitant sur une page blanche, si vous aimez les histoires de safari, bien sûr !

(*) Merci Pascal !
 

Premières pages…

Je suis né sans nom, sans lieu, sans date… sans papiers quoi.

Une idée de mon père avec la complicité de ma mère bien entendu, aussi marginale que lui. On ne naît pas marginal. Moi oui.
Mes parents le sont devenus par la force des évènements. Il faut dire qu’ils vivaient une drôle d’époque. Je suis incapable de vous dire quel âge j’ai, qui sont mes parents que j’ai bien connus, de quelle nationalité je suis… qui je suis dans cette société.

Mes parents, avant de partir, dès que j’ai eu atteint la maturité pour qu’ils puissent le faire, avaient pris les précautions nécessaires pour que je ne les retrouve pas.
Ils ne m’ont pas abandonné. Ils m’ont juste, comme ils disent, déposé sur le chemin de ma condition humaine, de l’universalité de mon être, avec les valeurs qu’ils auront bien voulu m’inculquer pour appréhender le monde dans l’état qu’il est, avec l’espoir sans doute d’être plus heureux qu’eux n’ont pu l’être.

« Respire, sens, vis ! »

Ces trois mots revenaient sans cesse dans mon enfance comme la réponse systématique à toutes les questions que je leur posais.
Mes parents, instituteurs de formation, renvoyés par l’académie de Créteil pour des positions politico-sociales à tendance anarchiques ostentatoires, se sont occupés eux même de mon éducation et de ma scolarité.
Retirés de la société dans une petite commune du Lot et Garonne, ils vivotaient dans une ferme retapée avec quelques illuminés de leur espèce, tous musiciens de surcroît et de survie surtout. Ils étaient bons, en particulier un dont le jeu de guitare enflammait les soirées autour du feu. Son jazz manouche n’avait plus grand-chose à envier à Django tellement Manu lui avait tout piqué.

Et c’est là que je suis arrivé, la boule au ventre de ma mère et les boules dans la gorge de mon père qui en voulait au monde entier, à tous ces gens qui avançaient tels des moutons sans broncher, au gré des gouvernements qui se succédaient en uppercuts gauche, droite qui mettaient chaos une France déjà à terre. Cette terre que mon père se plaisait à ramasser par poignées dans les champs lorsque nous nous promenions et de me dire… Je l’entends encore :

« Tu vois, ça c’est universel. Ca n’appartient à personne »

Et là, inéluctablement, les yeux mouillés de rage, il levait la tête vers le ciel, le soleil, respirait un grand bol d’air. J’avais compris très vite. Dès que j’eus maîtrisé l’expression de notre langue et les mathématiques, pour un petit garçon sans nom, sans identité, l’universalité prenait corps en moi comme le caractère et la personnalité s’affirmaient chez les autres enfants, à une maturité similaire.

Tout le monde au village respectait le choix de vie de mes parents d’autant plus facilement qu’ils ne cherchaient pas à comprendre. Pour autant, il leur semblait impossible de ne pas nous associer à des noms pour la vie en communauté. Mon père avait beau leur expliquer l’universalité dans des discussions interminables, le soir,  autour d’une bouteille de Takin, rien n’y faisait.
Ils s’étaient pourtant mis d’accord à ce que chacun nous appelle comme il voulait. On répondrait ou pas, précisait mon père. Ca amusait la bande qui s’en donnait à cœur joie. Pour Manu, je suis resté Django. C’est le prénom qui m’aura le plus marqué et que je garderai au fond de moi comme la marque de reconnaissance de tout ce qu’il m’aura appris, à la guitare, les petits détails qui font aujourd’hui mon talent, celui-là même qui fait que j’ai la liberté sauve.
Pour d’autres, je suis passé par Chico, Nino, Bello, « mon amour » même, par Mam’ Charlotte comme je l’appelais et dont le visage semblait bien attaqué par les lames d’un temps au fond mauvais.
Entre nous, mon père et ma mère m’appelait par des petits noms comme des titres. Maman c’était « mon bébé » puis « mon petit », papa lui se contentait de « fiston », « gamin », « fainéant » parfois. Entre eux, je les ai surpris à s’appeler par des petits noms affectueux. « ma chérie », « mon cœur » pour mon père alors que maman a lâché une fois un « mon loup » alors que j’étais sensé dormir. Le reste du temps, ils se regardaient et se comprenaient, s’interpellaient tantôt par un « chéri(e) ! », jusqu’au jour où je surpris mon père appeler maman « Didi ». Un diminutif d’un prénom, de l’identité de ma mère sans doute. Jamais je ne saurai et mon père ne s’y est jamais repris.

Mon père s’appelait « Monsieur l’instituteur » ou « maître » pour beaucoup parce qu’il faisait office d’instituteur pour les enfants de la tribu et régulièrement pour les enfants du voyage qui aimaient à passer et repasser par là. Même maman s’amusait à l’appeler par ce titre en classe ou au village.
Parfois ils l’appelaient « le bourru » entre eux ou César, Tito, Salazar pour son côté dominateur dans les discussions, « Le Ché » pour ceux qui adhéraient à ses paroles. Impossible de dire si un prénom lui seyait plus qu’un autre et cela n’était pas pour lui déplaire tant il ne voulait pas s’attacher à l’un ou à l’autre.

Ma mère, elle, parlait peu et on le lui rendait bien. Je ne sais pas si elle avait de petits noms. J’ai le souvenir de n’avoir entendu que « Madame » comme si personne n’osait la froisser. Elle impressionnait, Maman, par son calme sidérant, un sourire mesuré, ni trop, ni pas assez. Elle aidait les femmes aux tâches ménagères qu’on voulait bien lui laisser et aussi mon père dans ses cours.
Ma mère semblait blasée, meurtrie en dedans, sans la moindre envie qui vous tient debout. Et pourtant elle tenait debout. Sans doute était-ce ce voyage qu’elle attendait et auquel elle me préparait depuis toujours.

Le voyage. Le mot me faisait peur, je ne pouvais savoir ce qu’il y avait derrière. Je savais que je n’en ferai pas partie, qu’il fallait que je construise le mien, me disait-elle. Lorsqu’elle mentionnait son nom, elle souriait, les yeux brillants, et me rassurait.

« Mais tu sais, c’est encore très loin. Tu vas encore en voir des pleines lunes avec ta maman »

Jusqu’au jour où le voyage est devenu demain, puis hier, puis il y a bien longtemps.

(ébauche d’une idée originale par Antonio… à suivre… ou pas)
 

Les premières pages sont pour moi les plus belles, les plus excitantes parce qu’elles me surprennent… Les suivantes sont déjà plus déconcertantes, souvent décevantes !

Le plaisir de la page blanche c’est comme la sensation de sauter dans le vide ou de descendre une piste noire. Une fois la peur dépassée, on a envie de voler, de crier, de faire des figures de style…
Une fois en bas de la page, on est tout excité et on n’a envie que d’une chose :

remonter pour sauter ou descendre en haut de la suivante !

Ne laissez pas ce plaisir à d’autres. Tout n’est pas génial dans ce que l’on écrit.

Peu importe, seule la sensation compte !