Le père

On était à la dernière du père, samedi soir.

Le père théâtre Hébertot

Mais non, personne n’est mort ! Je parle de la pièce de théâtre, « Le père » de Florian Zeller qui se jouait au théâtre Hébertot à Paris.

C’était la dernière représentation samedi.

Une mise en scène lumineuse où tout s’emmêle dans la tête du spectateur qui ne sait plus qui est qui et où il est.

Tiens donc !

Tout comme ce père incarné par un Robert Hirsch époustouflant, plus vrai que nature en emmerdeur intelligent qui perd ses repères et la mémoire au fil du temps, du temps de la pièce qui se désintègre sous nos yeux éberlués.

« Mais tu m’avais dit que t’allais plus à Londres ! »

Quelle empathie nous submerge alors ! … Bah oui, elle nous l’avait dit !

Flash-back comme une claque à chaque scène qu’on reçoit ou croit recevoir, on ne sait plus bien. Le décor se fait et se défait sous nous yeux, on sent le père partir, emporté par la maladie, quelle maladie ? Alzheimer, qui n’existe que pour celui qui est en dehors.

Oui mais nous, on est dedans !

Et quand Zeller, ou plutôt le metteur en scène, nous en fait ressortir, par instants, c’est l’effroi qui nous prend à la gorge comme dans cette scène somptueuse où sa fille le laisse dans cette institution pour partir enfin à Londres.

C’est dur, c’est magnifiquement mis en puzzle que l’on reconstitue jusqu’à la dernière pièce.

La dernière ce soir, je vous disais, pour acclamer la performance d’un acteur comme j’en ai rarement vue au théâtre, personnage complexe, tantôt drôle, tantôt émouvant, toujours attachant, un rôle qui vaudra sans conteste à Robert Hirsch au minimum une nomination aux Molières, si ce n’est le titre suprême.

En tout cas, s’il est loin d’être mort en tant qu’acteur, les acclamations sur les planches samedi soir l’ont déjà emporté jusqu’au paradis sous un orchestre de bravos, d’un public debout et aux anges.

Merci monsieur Zeller pour ce grand moment de théâtre !

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Tu déconnes, Mathilde…

Mathilde se remarie !                                 Épisode 4  / 15

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Mathilde, 29 ans, mariée, fidèle, rêve toujours de prince charmant, de robe de princesse, nostalgique du plus beau jour de sa vie, dix ans déjà !
Sandrine, meilleure amie de Mathilde, 33 ans, l’âge du Christ, mais rien à foutre, pas croyante, le mariage, très peu pour elle, célibataire, hédoniste de nature, aime faire la fête, danser, boire un p’tit coup, ou deux, et transgresser les codes dès qu’elle peut.
Catherine, Cathy pour les intimes, collègue de Mathilde, 38 ans et toujours célibataire, à fond sur Meetic, rêve de mariage en grand avec une robe blanche, elle y croit !
Lætitia, chef de Mathilde, 45 ans, divorcée, deux enfants, terminé pour elle les mecs qui ne s’assument pas et jouer leur mère au foyer, elle veut voyager et s’éclater, profiter de la vie, quoi !
Joëlle, mère de Mathilde, 57 ans, veuve depuis cinq ans, elle a fait son deuil, mais les hommes, le mariage, c’est de l’histoire ancienne.

Deux mois ont passé.

Ce soir on sort entre filles. Sandrine est sur les nerfs. Elle attend ses copines devant le théâtre, rue de la Gaité, quand la pauvre Cathy débarque un sourire jusqu’à ses nouvelles boucles d’oreilles.

— T’as vu ?
— Quoi ?

Cathy porte les mains sur ses boucles.

— Ben !!!
— T’as trouvé ça où… aux Puces ?
— T’aimes pas ? C’est Régis qui me les a offertes hier pour la Saint-Valentin !
— Le même Régis que le mois dernier ?
— Ouiiiii ! Il est trop ‘gnon ! Ça fait vingt-sept jours exactement. Et c’est ma première Saint-Valentin depuis cinq ans, tu te rends compte ?
— Non.
— On a dîné aux chandelles au Buffalo Grill. J’ai pris des profiteroles, t’aurais vu…
— Oh hé ! Cath’, l’interrompt Sandrine, visiblement à cran, tu ne vas pas me raconter à moi ce qu’est une de ces soirées. Le grand jeu, du resto jusqu’au pieu, en passant par l’option ciné, pitié ! Cette fête commerciale avec ses fleurs et son cadeau de fête foraine, très peu pour moi, tu me connais. Dis-moi plutôt pourquoi Mathilde ne vient pas ce soir, elle ne répond à aucun de mes messages.
— Ah bon, elle ne t’a pas dit ?
— Bah non, elle ne m’a pas dit… Sinon je ne te demanderais pas !
— Ils sont partis à Venise pour le week-end. Mathilde a posé son vendredi, pas plus tard que mercredi. Ils y sont depuis jeudi soir.

— Venise ? J’en reviens pas, la conne ! Avec Paulo ?

— Ben euh… Oui, avec qui d’autre ? Ça doit être génial, les gondoles. T’imagines, une Saint-Valentin là-bas ?
— Non.
— Mais qu’est-ce t’as, ce soir ? Toi, t’as passé une mauvaise soirée, hier !

Lætitia et Joëlle arrivent juste au bon moment pour sauver la pauvre Cathy qui ramait à contre courant sur la vague de mauvaise humeur de Sandrine.

— Salut les filles. On est pile à l’heure !

Lætitia s’interrompt voyant la tête de Sandrine.

— On avait dit sept heures moins quart, non ?
— Ouais ouais, pas de problème, répond la mal lunée. Bon, je fais quoi avec le billet de Mathilde ? ajoute-t-elle avant de s’emporter. Elle aurait pu me dire, merde !
— T’en fais pas, la rassure Lætitia qui a solution à tout. On va brader la place à un beau mec. Laisse-moi faire, j’ai été VRP à mon jeune âge.

Elle lui prend un billet des mains et le brandit en clamant :

— Oyez, oyez ! Jeunes gens et jeunes hommes, une place à douze euros, moitié prix, imbattable ! À côté de quatre charmantes jeu…euh ! femmes !

Apercevant le décolleté de Cathy, elle ajoute : « Avec vue imprenable sur balcon ! »

Baissant son bras, elle lui souffle en aparté :

— Dis donc, tu comptes faire diversion dans la salle avec ce décolleté ?
— Tu crois que ça fait trop ? demande Cathy, gênée.
— Je dirais plutôt que ça ne fait pas assez. Tiens ! tu n’as qu’à tester. Essaye de vendre cette place.
— Mais euh…
— Laisse tomber, Lætitia, intervient Sandrine, c’est pas tant pour la place que je suis « vénère ». Mais qu’est-ce qu’on peut être connes, nous les femmes. Ça doit être dans nos gênes, c’est pas possible !

Il suffit qu’on nous agite un peu de délicatesse à la Saint-Valentin et voilà qu’on court derrière. À moins qu’elle ait voulu lui faire signer les papiers du divorce place Saint-Ras-l’bol !

— À qui le dis-tu, acquiesce l’expérimentée en mariage et divorce.
— Oh, non ! j’ai mieux, reprend Sandrine. Elle a sans doute prévu de lui filer un coup de rame sur une gondole pour qu’il se noie dans le Grand Canal.  Tu parles d’un carnaval, ce Paulo, enrage-t-elle de plus belle, c’est clair qu’au milieu des ritals il est dans son élément… agir masqué.
— Hé hé ! c’est un vrai festival, ma parole, Sandrine, conclut Lætitia. Tu m’as l’air bien remontée.
— Ma chérie, s’en mêle Joëlle, tu la connais notre Mathilde. Elle a son idéal. Je crois qu’elle n’a pas encore accepté d’y renoncer.
— Ça m’écœure de la voir s’attacher à ce gros con. Parce que c’est un gros con, tout en gonflette en dehors et plutôt gonflé en dedans si tu vois ce que je veux dire, Joëlle.
— Non, pas vraiment. Je crois que tu exagères un peu, là… non ?
— J’exagère ? Mais, Joëlle, ce mec-là, il est plus intéressé par ce qui se passe en dehors de chez lui que dedans. Il a quand même osé draguer la meilleure copine de sa femme le jour de son mariage. Et je peux te dire que je l’ai testé jusqu’au bout ce soir-là.

Cathy est stupéfaite par ce qu’elle entend.

— Comment ça, jusqu’au bout ?
— Tu veux que je te fasse un dessin ? Disons que je l’ai un peu aidé pour voir jusqu’où il était prêt à aller.
— T’as fait ça à Mathilde ? s’insurge Cathy.
— Voilà que ça va être moi la fautive ! T’inquiète, je l’ai sèchement remis à sa place quand il s’est mis à chercher la jarretière le long de ma cuisse dans le vestiaire.
— Quelle jarretière ?
— C’est bien ça le problème. C’est pas moi qu’il épousait. Et ça risquait pas !
— Mais… Euh… Tu l’as dit à Mathilde ? insiste Cathy.

— Je savais qu’il lui gâcherait son idéal, j’allais pas en plus lui gâcher le plus beau jour de sa vie !

Joëlle semble à peine surprise. Quand Lætitia est complètement blasée.

— Tous les mêmes. Plus rien ne m’étonne, moi. Oh! et puis c’est beau Venise, elle n’aura pas tout perdu au change.
— Ils y sont déjà allés deux fois, peste Sandrine. Pour leur lune de miel et leur premier anniversaire de mariage,
— Et bien, on peut dire qu’il a beaucoup d’imagination ce garçon, plaisante Lætitia. Bon, les filles, ça ne me dit pas ce qu’on va voir. J’espère que c’est une comédie assez drôle pour dérider notre Sandrine !

Cathy lit le synopsis de la pièce sur une affiche.

Les grands moyens, ça s’appelle. Laura a quitté Léo il y a trois mois parce qu’elle cherche l’homme parfait. Léo va lui faire rencontrer le pire de tous. Elle devrait revenir. Normalement, elle devrait.

Sandrine hausse les épaules, en se dirigeant vers l’entrée.

— Sans aucun doute… Toutes des connes ! Allez, on entre, ça sonne.

Cathy la suit de près, intriguée encore par ses révélations.

— Non mais, il t’a vraiment mis la main sur la cuisse ?


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Tous rêves berbères allumés !

Fellag et ses petits chocs des civilisations.

J’étais au théâtre du Rond-Point pour l’avant dernière de son spectacle.

Quels chocs et quel plaisir !

Oh ! pas un électrochoc, non… mais plutôt une succession de petits chocs acoustiques, doux et drôles, qui bousculent, qui accrochent, qui éraflent les clichés, les tabous de nos civilisations franco-maghrébines si liées malgré nos différences… dans le tourbillon de l’histoire…

On s’est connus, on s’est reconnus, on s’est perdus de vue, on s’est reperdus de vue, on s’est retrouvés, on s’est réchauffés puis on s’est séparés.

Vous connaissez l’air, et même l’histoire, avec les maux qu’elle a engendrés entre nos peuples. Fellag, lui, délie les langues… tantôt française, tantôt arabe, avec ses mots à lui qui nous parlent de cet amour vache mais aussi de cet amour lâche qui nous appelle et dont il nous rappelle avec tendresse et ironie les ingrédients, en petites secousses, ces petits chocs… qu’il amortit toujours avec ce grand chic pour nous faire rire.

Quand on le voit entrer dans sa cuisine, les légumes sur la table, la s’couscoussière sur le feu, on n’est loin d’imaginer que son spectacle est une vraie petite bombe. Quoi que… en cette période sensible où le péril terroriste est permanent, certains aux premiers rangs pouvaient ne pas se sentir rassurés.

Et Fellag ne s’est pas gêné pour en abuser.

Car quand il entre dans sa cuisine, c’est bien pour se mettre à table après avoir cuisiné en grand chef nos petits défauts qu’il étale avec humour. Ecoutez plutôt !

(le sourire jusqu’aux oreilles) : Une étude internationale vous a décerné le titre de pire touriste du globe terrestre.
(semblant sérieux) : Le monde entier vous reproche d’être râleur radin arrogant impoli…
(puis moqueur) : ben alors qu’est-ce qui se passe ?
[…]
Heureusement que nous sommes là, hein ? …
Il ne vous reste plus que NOUS… on vous trouve bien, NOUS… on croit en vous, NOUS …
(les bouts des doigts de chaque main rassemblés, soudés, pointant vers le ciel) … Nous aussi on veut être français, avec le béret, la baguette et un passeport français pour aller partout dans le monde. Comme ça nous aussi on pourra être arrogant, impoli… (et de finir avec un) … Allez, casse-toi pauv’con ! (pan !)

Ah! … Il faut le voir pédaler comme un dératé sur le vélo du tour des mets favoris des français. Et pour cause le couscous est en tête. « Comme vous nous aimez, quelle plus belle déclaration d’amour ».

Et de finir par nous faire crier dans la salle « On vous aiiime ! »

Parce que les ingrédients de cet amour, ce couscous qu’il nous concocte, ses légumes sur la table et nous tous ensemble plongés dans sa marmite, dans ce théâtre, assis les uns à côtés des autres, riant aux éclats tel des poivrons qui crépitent au fond de leurs cœurs, des carottes, des navets et des courgettes qui bouillent de plaisir,  français, maghrébin, les deux peut-être, peu importe, tout nous parle, nous transporte à travers le fumet irrésistible d’un style, le bouquet parfumé d’une écriture.

Belle métaphore l’artiste !

Mais alors… quand on s’est connus, quand on s’est reconnus, pourquoi s’perdre de vue, se reperdre de vue, quand on s’est retrouvé, quand on s’est réchauffés, pourquoi se séparer ?

Tel semble être la petite flamme que ce fou de rêves berbères* a allumé en moi ce soir.

Je vous inviterais bien à courir voir son spectacle, mais aux dernières nouvelles, le directeur du théâtre lui aurait délivré un avis d’expulsion samedi dernier. Décidément !

La prochaine fois, ne le ratez pas !

* « L’allumeur de rêves berbères » est le titre d’un de ses romans que je n’ai pas lu mais dont j’aime beaucoup l’expression du titre, en nostalgique de ce beau métier cher au Petit Prince de Saint-Exupéry. 
 

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