Les brèves du Café…

Trois briquets dans la nuit

« Salut Tonio !
– Salut Khalid ! Je te sers un demi ?
– Ouais, je vais le boire avec mon ami, en terrasse…
– Fernaaando Torres ! beugle-t-il en s’approchant de la table 7 où se tient Fernand, la tête dans ses écrits.

– Alors, on ne dit pas bonjour à son pote Khalid ? »

Se retournant, surpris, Fernand esquisse un sourire et serre la main tendue par son ami, ou plutôt son collègue de bureau, pour peu que l’on puisse considérer le café comme leur lieu de travail.

Depuis deux mois que Khalid cherche un boulot, il a élu domicile au Café de la Page blanche, comme pour se donner bonne conscience, penché sur une feuille blanche, un stylo dans une main, sa bière dans l’autre, tantôt planchant sur une lettre de motivation, tantôt sur son CV. Très vite en levant la tête, il avait repéré Fernand avec qui il ne tarda pas à se prendre d’amitié et dont la faculté à faire des belles phrases le ravit immédiatement.

Fernand l’appréciait aussi, pour son bagout, son aisance à se lier avec les gens. Il pensait déjà à lui pour un personnage dans ses essais qui n’en finissaient pas de s’essayer et de ne jamais voir le jour. Tout n’était que brouillon pour l’instant, rabâchait-il souvent à Zozotte qui s’impatientait que son livre soit édité pour trouver dans une librairie une part de gloire à travers son propre personnage.

« Bonjour Khalid ! Ca me fait plaisir de te voir.
– Alors t’avances bien ? … fais-voir ! … je peux ? …

Le milieu ambiant est l’âme des choses. Whahou ! … Chaque chose possède une expression propre, et cette expression lui vient du dehors.

– Et bé ! … C’est chiadé !
– Merci, c’est juste un brouillon pour l’instant…
– Hé ! Tu sais quoi, j’ai pécho l’autre jour grâce à ton livre.
– Lequel ?
– Prévert. Comment c’est le titre déjà ? … Ma parole !
– Ah, celui-là ! … Paroles. Tu as aimé ?

– Ouais, j’adore. On peut faire une pause à chaque page. Cool ! C’est court, c’est nickel pour moi. En plus  y a des passages, c’est trop de la balle !
– Ah oui ?

– Justement l’autre jour, j’sortais avec une bourgeoise du 8ème, je l’ai bluffée. Tu vas pas m’croire, écoute. Elle me sort texto au p’tit matin: « on est quel jour ? ». Z’y va que je lui réponds direct : « on est tous les jours mon amie, on est tous les jours mon amour ».

Et là, elle a kiffé grave, j’te jure. C’est trop fort Prévert ! »

Fernand sourit, loin de penser que la prose de Prévert puisse être un outil de drague efficace.

« Et tu utilises souvent les vers de Prévert pour… séduire ?
– Y en a un qui marche à tous les coups, c’est c’ui des briquets, là !
– Des briquets ?
– Ah, comment ça fait déjà ? … Ah, oui ! … j’allume trois briquets dans la nuit, le premier pour voir ton visage, le second pour voir tes yeux, le troisième pour voir ta bouche et là, et là… écoute, écoute… Et l’obscurité toute entière pour me rappeler tout ça en te serrant dans mes bras. Trop fort j’te dis !
– Il s’agit d’allumettes il me semble.

– Ouais mais ça marche aussi avec des briquets »

Fernand ne peut s’empêcher d’éclater de rire gentiment.

« Pourquoi tu ris ?
– Oh, rien… c’est ta façon de le raconter, on dirait une charade ! »

Et Fernand rit à nouveau plus généreusement.

« Oui, mais je m’applique t’inquiète ! … Merci en tout cas, c’est trop bien comme bouquin.
– T’en as d’autres des comme ça, de lui ?
– Tu veux que je t’en fasse une liste à la Prévert ? s’amuse à lui proposer Fernand.
– Ouais, ouais que de Prévert. L’autre jour tu m’as fait lire du Beaudelaire, c’est trop triste ! »

Tonio dépose alors le demi sur la table des amateurs de poésie et interpelle Khalid sur leur sujet fétiche.

« T’as vu le carton rouge de Zlatan samedi ? … On est mal, on est mal !
– Trop la classe son geste de kick boxing… Tout ce qu’il fait c’est la classe ! »

A ce moment-là, Françoise entre dans le café : « Pff … ça parle encore football ! »
Khalid s’offusque alors :
« Et z’y va, elle, on parle de Prévert depuis un quart d’heure !
– Laisse tomber, le reprend Tonio, ça fait une semaine qu’elle est de mauvaise humeur, tout ça parce qu’elle n’a personne à son atelier d’écriture pour retraités. Chut, la r’voilà !
– Vous connaissez Prévert, Madame Françoise ?
– Hein ?

– L’histoire des briquets. C’est un mec, il allume trois briquets dans la nuit.
Il s’arrête et se reprend :

– Ca marche aussi avec des allumettes ! » 

Vous voulez la suite ? … cela ne dépend que de nous  !

Le décor est planté ! La rubrique Brèves du Café nous attend pour animer ce petit monde selon notre imagination et notre culture sitcom, série télé ou scène de théâtre !

Cet article, publié dans Brèves du Café, Ecrire, Jeux d'écriture, Prétexte, est tagué , , , , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

2 commentaires pour Les brèves du Café…

  1. Pascal dit :

    Des allumettes, ça c’est une bonne idée pour tenir mes paupières ouvertes, j’ai pas dormi de la nuit Kalid !
    Ça doit être que vous êtes inquiète Madame Françoise. Ici, les ateliers d’écriture c’est pas notre truc. On a pas envie de retourner à l’école ! Regardez autour de vous, nous on écrit sur les murs, c’est plus classe ! ha ! ha ! ha !

    J’aime

    • Antonio dit :

      Ben dis-donc Khalid, za va pas la tête, tu vas pas zaloper nos murs auzzi !
      Zozotte venait à peine de faire son entrée que déjà elle avait les oreilles qui traînaient.

      (bien Pascal ! 🙂 )

      J’aime

Ce que ça vous inspire...