Marie et femme

Petite fable de moeurs contemporaine… en six épisodes


Elles étaient des jumelles extraordinaires parce que parfaites.

source: lightinthebox.com

Rien ne pouvait les distinguer.
Pas une ride, pas un centimètre.
Pas même un grain de beauté.

Seule leur mère savait les reconnaître,
au premier coup d’œil, sans se tromper.

Sarah et Marie.

Elles en jouaient, petites comme grandes, pour rire ou pour tricher.
Jamais personne ne savait qui se cachait derrière Sarah, qui était Marie.
Les professeurs, les voisins, la famille, les policiers…
Tous s’en remettaient aveuglément à leur mère qui les démasquait et les punissait,
leur faisant promettre de ne plus jamais recommencer.

Jusqu’au jour où les deux sœurs parfaites,
aussi incroyable que cela puisse paraître,
rencontrèrent des jumeaux tout aussi parfaits.

Rien ne pouvait les distinguer.
Pas une ride, pas un centimètre.
Pas même un grain de beauté.
Seule leur mère savait les reconnaître,
au premier coup d’œil, sans se tromper.

Mathias et Simon.

Ils en jouaient, petits comme grands, pour rire ou pour tricher.
Jamais personne ne savait qui se cachait derrière Mathias, qui était Simon.
Les professeurs, les voisins, la famille, les policiers… et même les juges !
Tous s’en étaient remis aveuglément à leur mère qui les avait démasqués et punis,
leur faisant promettre, en détention, de ne plus jamais recommencer,
condamnés trois mois qu’ils furent pour usurpation d’identité.

Mais ça, c’était du passé, des bêtises, des erreurs de jeunesse.
Aujourd’hui, ils s’étaient rangés, tenant enfin leurs promesses.
Marie, la première, tomba sous le charme de Mathias.
Elle emménagea rapidement dans sa villa familiale à Jouy-en-Josas.
Puis elle présenta sa jumelle à son frère lors d’un dîner.
Il n’y avait pas de raison que cela ne colle pas entre eux.
Elle ne s’était pas trompée.
Sarah fut séduite par Simon et s’installa dans son grand appartement à Paris,
Quai de Bourbon.

Les deux couples s’amusaient de leurs parfaites liaisons.

« On a les mêmes initiales, c’est trop mignon ! »

Marie et Mathias, Sarah et Simon.

La vie coulait paisiblement, amoureusement, pour chacun d’eux.
Puis très vite, maritalement, avec des enfants, chacun deux.
Un garçon et une fille, tous différents.
Mais avec cette particularité, comme leurs grands-mamans,
de reconnaître leurs parents du premier coup d’œil.

Sept ans passèrent, chacun parfaitement à sa place.
Sarah avec Simon et Marie avec Mathias.
Ce dernier avait repris le restaurant familial, place des Vosges.
C’était sa part de l’héritage.
Quand Simon se rêvait en musicien-poète sur l’île Saint-Louis.
Aux frais de ses ancêtres.
Marie se laissait vivre entre l’amour mesuré de Mathias
et le faste du domaine de Jouy-en-Josas.
Une vie bien rangée.
Sarah, elle, s’émancipait religieusement à la petite école des Francs Bourgeois.
Pour Simon, elle était institutrice et une bonne maîtresse de maison, de surcroît.
Rarement il s’en plaignait.
Elle pas plus d’ailleurs, les enfants suffisaient à son bonheur.

Un soir, chez Simon et Sarah,

Mathias fit du pied sous la table à sa belle-sœur.
Elle ne semblait pas indifférente à son ardeur.
Avant de quitter l’appartement, au bras de sa femme, Marie,
Mathias glissa discrètement un mot dans la poche de Sarah, interdite.

« Demain 16h, Hôtel Émile »

Marie n’y prêta aucune attention.
Elle était ailleurs.
Et pour cause, elle avait scruté son beau-frère toute la soirée.
Simon semblait avoir totalement effacé de sa mémoire ce fameux baiser.
Il y avait deux semaines de cela,
sur le perron de sa maison (à elle), à Jouy-en-Josas.
Ils s’étaient embrassés, à l’impromptu, alors que Simon avait un peu bu.
Un peu trop, sans doute. Maintenant il ne s’en souvenait plus.

Le lendemain matin, pourtant, Marie décida de franchir le pas.
Elle prétexta une visite à sa sœur qu’elle savait pertinemment à l’école.
Mais Simon, lui, était bien là.

« Que je suis sotte, je me croyais mercredi !
– Moi aussi, du coup, te voyant revenir…
– Mais je suis Marie, Simon !
– Han ! Non ! C’est effrayant comme vous êtes pareilles.
– Même voix, même parfum, mêmes boucles d’oreilles ! »

Marie lui répondit du même sourire que celui de sa sœur.

« C’est aussi effrayant pour moi, si ça peut te rassurer.
Vous avez le même mauvais goût pour ces chemises débraillées ! »

Elle éclata de rire. Simon s’en amusa avec elle.

« Il faudrait presque nous faire tatouer nos prénoms sur le front…
Ah ah ah ! J’ai du thé si tu veux, un café sinon ?
– Du thé, je veux bien. »

Elle s’assit sur le canapé, croisa les jambes, réajustant sa jupe au dessus des genoux.
Simon crut à nouveau voir Sarah. Elle avait le même geste délicat.
Ce mimétisme le troubla profondément, quand il disparut dans le corridor.
Lorsqu’il revint avec le thé sur un plateau, ses mains tremblaient encore.

« Attention, c’est chaud !

– Plus chaud que le baiser de l’autre soir ? »

Le plateau claqua simultanément sur la table basse.
La réplique de Marie était cash. Elle voulait savoir.

« J’y repense souvent, tu sais… »

Lui pensait avoir oublié. Simon voyait soudain ressurgir ce sentiment de culpabilité.

« Mais… Marie… Je suis désolé… Je n’aurais pas dû… J’ai honte !
– Pourquoi ? J’en avais envie. Pas toi ?
– Mais… c’est mal ! Pense à Sarah, Mathias… Aux enfants !
– Je sais… Je croyais… »

Elle soupira et baissa la tête. Était-il possible qu’elle se soit trompé ?
Il lui releva le menton, comme il l’aurait fait pour Sarah, avec compassion.
Les yeux de Marie se mirent à briller.

« Embrasse-moi encore, Simon ! »

Il eut l’impression d’entendre sa femme le priant d’un peu plus d’attention.
Elles avaient le même timbre de voix, le même trémolo émouvant.
Il l’embrassa instinctivement après une brève hésitation.
Marie mordit dans ce baiser comme dans une pêche, à pleine bouche, sans retenue.

« Non ! Je ne peux pas. »

Paniqué, Simon la repoussa. Elle n’était manifestement pas Sarah.
Comment pouvait-on embrasser aussi délicieusement ? Il n’avait pas le droit.

« Enfin, pas ici, se reprit-il.
– Où, alors ? s’empressa Marie.
– Je ne sais pas… Heu… »

Comment pouvait-il faire cela à Sarah ? Le désir le titillait, la raison céda.

« Cette après-midi, à l’Hôtel Émile… Quinze heures ! »


2ème épisode…

Marie fut à l’heure. Elle faisait les cent pas devant l’hôtel.

Elle se sentait coupable et à la fois excitée à l’idée d’une liaison dangereuse.
Le souvenir de ce baiser la tiraillait jusque dans le creux des reins.
Elle voulait en croquer encore une fois. Elle avait faim.
Mais pourquoi se prendre soudain de désir pour le parfait sosie de son mari ?
C’était inexplicable et elle ne cherchait pas à se l’expliquer aussi.
Ça faisait des mois que Mathias ne la touchait plus. Et ça ne lui manquait pas.
Il y avait bien longtemps qu’elle ne jouissait plus dans ses bras.
Avait-elle eu un vrai orgasme au moins une fois ? Peut-être, au début.
Peut-être pas. Comment être sûre ?
Plus elle attendait, plus elle ruminait sa culpabilité mais moins que son désir.

« Il ne viendra pas. »

Sa pensée s’envola aussitôt qu’elle le vit de l’autre côté du trottoir.
Son cœur se mit à battre la chamade. C’était la première fois.
Lorsqu’il la reconnut, il traversa comme un fou et se jeta dans ses bras.

« Tu es venue… oh ! »

Il avait ce regard de petit garçon devant un sapin de Noël.
Il la prit dans ses bras comme un cadeau du ciel et l’embrassa ardemment.
Marie fut surprise par tant d’engouement, lui qui hésitait ce matin encore.
Ce baiser était meilleur que l’autre soir, elle crut défaillir un instant.

« Entrons ! » dit-il, l’entraînant avec lui à l’intérieur.

Ils allaient le faire.
Elle était toute excitée et demandait déjà pardon à Dieu, à Mathias et aux enfants. Mauvaise mère, mauvaise épouse, mauvaise chrétienne qu’elle était.

« À quel nom, s’il vous plait ? » demanda le réceptionniste.

Ils se regardèrent. C’est lui qui lâcha le premier :

« Monsieur Gaspard… » et d’ajouter « Mathias ».

Marie l’interrogea, déconcertée. Voilà que Simon se prenait pour son mari.
Il lui sourit tout en prenant la clé qu’on lui tendait.

« Chambre dix-sept ! »

Ils montèrent au premier étage, par l’escalier. La porte claqua derrière eux. Des gémissements se mêlèrent à des frottements successifs de porte, de table, de lit, de draps, de tissus et de peaux. Les voilà nus, bouches ouvertes, langues enchevêtrées dans des baisers incessants, pêle-mêle, un vrai bourbier du désir, les mains cherchant à s’agripper à tous les interdits qui s’érigeaient ostentatoirement contre cette pudeur qu’on leur avait inculquée. Des seins, des fesses, des torses, des reins, des sexes rougis d’une même honte. Ils s’extasiaient à chaque caresse, à chaque geste indécent qu’ils osaient à pleines mains ou pleines bouches, titillant, cramponnant, pénétrant. Les vêtements à terre, les dessous dessus, les draps volant, la peau suant, le plaisir se hissant aux rideaux de la chambre dans des râles qui saisissaient Marie dans le creux de ses reins et qui montaient crescendo jusqu’à trois octaves au dessus.

Jamais elle n’avait chanté aussi haut, même au chœur de la messe.

« Seigneur Jésus Marie Joseph ! »

Trois orgasmes. Deux heures dans cette chambre d’un bordel sans nom pour un plaisir jusque-là inconnu et sans commune mesure, pour l’un comme pour l’autre. Et pour cause, c’était la première fois qu’ils baisaient. Décoiffée, collée à son amant, encore toute chaude et toute tremblante, des frissons sur toute la peau, Marie s’exclama :

« Mon Dieu, qu’est-ce que tu m’as fait, Simon ?
– Ne m’appelle pas Simon, Sarah, s’il te plaît ! Ce n’est pas drôle ! »

Puis il reposa sa tête sur sa poitrine, tel un enfant prostré contre le sein de sa mère après avoir fait une grosse bêtise. Il se confia spontanément.

« Je n’avais pas le droit de faire ça à Marie. Ta sœur est si attentionnée, si parfaite… C’est sûr, ça n’a jamais été comme ça avec elle. Oh Sarah, c’était, hou ! Je comprends que mon frère se soit bien caché de me raconter tes prouesses. »

Marie ne respirait plus depuis quelques secondes.

S’il n’était pas Simon, alors…

Elle ne voulut rien dire sur le moment. Elle n’y croyait pas elle même.
Comment Mathias aurait pu lui faire l’amour ainsi ? C’était impensable, lui qui était tellement réservé, lui qui la regardait à peine, nue, lui qui ne connaissait que la position du missionnaire qu’il accomplissait comme il réciterait l’Angélus.

« Je te salue Marie, pleine de grâce, le seigneur est avec toi, tu es bénie entre toutes les femmes et Jésus le fruit de tes entrailles est béni. »

Elle ne savait pas si son petit Jésus à lui était béni mais cette après-midi, pour la première fois, il venait de la combler d’une grâce divine.

« C’est comment avec elle ? » osa-t-elle demander.

Matthias se laissait caresser les cheveux, sans savoir qu’il parlait à sa femme.
Il se livra sans retenue.

« Oh, tu sais, il ne faut pas juger ta sœur. Elle a un côté pieux… il rit du jeu de mots impromptu. Enfin, je veux dire religieux, qui l’empêche de s’offrir au plaisir de la chair, tu comprends… »

Marie était révulsée d’entendre autant de conneries de la bouche d’un coincé du cul, depuis sept ans qu’ils couchaient ensemble sans qu’il ne lui suggérât la moindre folie en dehors de sa position de mormon missionné pour procréer. Elle avait eu de lui deux enfants et aucun orgasme, jusqu’à ce jour. Maintenant elle en était sûre.

« C’est une femme sensible et pudique. Et si fragile, crut-il bon d’ajouter. Parfois, c’est con ce que je vais te dire, mais j’ai peur de la brusquer, de lui faire mal. Oh Sarah ! Vous êtes tellement différentes…
– Tellement. »

Marie se retourna et ferma les yeux. Elle ne l’écoutait plus, elle réfléchissait à la situation. C’est en se rhabillant, sous le regard amoureux de cet amant authentique qui n’était autre que son mari, qu’elle décida de ne rien dire et de vivre une double vie avec le même homme. Il y eut d’autres fois, quasi une par semaine, aussi gênées qu’embrasées, de plus en plus décomplexées, Marie découvrait sa sexualité quand Mathias explorait une partie de ses fantasmes.

Puis vint cette première soirée cocasse chez Sarah et Simon.

Marie défiait la lâcheté de son beau-frère par des regards provocateurs. Ce dernier se défilait derrière des attentions appuyées à l’égard de sa femme comme pour signifier à Marie qu’il tenait trop à sa sœur pour oser lui faire du mal.

À côté, Mathias dévisageait également Sarah avec une insistance qui la mettait mal à l’aise. À la moindre occasion, il se frottait à elle, l’effleurait de la main ou du pied sous la table. Elle profitait du regard amoureux de Simon pour faire comprendre à son beau-frère qu’elle n’était pas prête à tromper son mari. Seulement, Mathias, persuadé de l’existence de leur liaison, pensait qu’elle simulait l’épouse parfaite pour ne pas éveiller les soupçons. Quand il lui emboîta le pas dans la cuisine, prétextant de l’aider à apporter le dessert.

«  Il me tarde d’être demain.
– …
– Je ne peux plus me passer de toi.
– …
– Tu m’as rendu fou.
– …
– On refera le lotus si tu veux…
– Hein ? Le lotus ? De quoi tu parles ? »

C’est alors qu’entra Simon avec un grand sourire adressé à son épouse.

« Ah ! J’en étais sûr. Tu nous as fait ta tarte aux pruneaux. Tu es un amour ! »

Puis il l’embrassa tendrement dans le cou, enroulant ses bras affectueusement par-derrière, une démonstration de tendresse qui tombait bien et qui fit frémir Sarah sous le regard embarrassé de Mathias.

Simon s’adressa alors à son frère sans imaginer le mal qu’il pouvait lui faire :

« Mathias, cette femme-là est une perle. En cuisine… Comme dans tout ce qu’elle fait d’ailleurs ! »

Sarah rougit s’extirpant de son emprise. Mathias fut pris d’une jalousie terrible.
Comment pouvait-elle être aussi une perle avec lui ?

« Tiens, Mathias ! dit-elle, emmène ça à table, s’il te plaît ! »

L’amant éconduit n’eut pas d’autre choix que de prendre la tarte des mains de Sarah, non sans appréhension de les laisser seuls derrière lui, se retournant une dernière fois avant de les perdre de vue.

« Qu’est-ce qui t’arrive, mon chéri ? On dirait que tu viens de voir la vierge. »

Marie s’amusait de la situation, voyant son époux complètement déboussolé.
Mathias se ressaisit et sourit hypocritement à sa pauvre femme qu’il croyait tromper.
Elle était assise, bien droite dans le canapé, avec la même robe courte qu’il avait retirée à Sarah, une de ces après-midi, à l’hôtel.

« Décidément, elles se copient jusque dans leurs vêtements.
Il n’y aura finalement que sous les draps que je saurai les distinguer. »

Des pensées l’envahissaient alors qu’il posait le gâteau sur la table, tout en scrutant le corridor. « Qu’est-ce qu’ils foutent ? »

Marie l’interpella à nouveau :

« Mathias, houhou ! … je te parle.
– Heu, oui oui, ma chérie… J’étais dans mes pensées. Voilà le dessert.
Heu… Une tarte aux pruneaux, je crois… Elle a l’air très bonne ! »

Marie sourit sournoisement à son tour. Nigaud !

Mais elle ne lui en voulait pas.
Ils se voyaient demain comme deux amants dans la peau de deux autres.

C’était aussi invraisemblable qu’excitant.


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Donne-moi la main Menino

Ah! Qu’elle me semble loin ma Lisboa de carte postale !

Celle dont je suis tombé amoureux, il y a 25 ans déjà. 

Souvenez-vous, je vous invitais, naïvement, à tenter d’en retrouver le charme, dans une série de quatre articles, ici même… il y a 7 ans : Um dia a Lisboa >>

Ne cherchez plus, ils ont dû tout raser, c’est sûr !

Cela fait presque dix ans que je n’ai pas remis les pieds dans la capitale portugaise et j’en pleure à l’idée de la retrouver dans l’état que l’a dépeinte Aurélie Delahaye dans son roman. Car il faut avoir le cœur bien accroché, comme dans l’electrico 28, pour imaginer ce qu’un amour comme le mien peut provoquer comme désastre sur l’élue de son cœur, quelques décennies plus tard.

Imaginez ! Une belle femme, libre et insouciante

qui aime rime, boire, chanter et faire la fête,

qui vous laisse vous jeter dans ses bras pavés que vous empruntez d’un bon élan… amoureux,

et qui aime se donner à ceux qui savent déceler sa beauté sous la lumière du jour, changeante.

Son cœur en Alfama est grand pour celui qui sait prendre son pied pour l’emmener aux sept ciels de ses collines.

les promoteurs immobiliers et Airbnb ont fini par la prostituer !

C’est à la mode partout dans le monde, vous allez me dire. Ici, même à Versailles, comme à Paris, Barcelone ou Venise, le concert de roulettes battait son plein dans le centre-ville…

Jusqu’à l’arrivée d’un virus qui a enrayé les représentations des bagages à deux-roues.

Mais dans ce roman, Donne-moi la main Menino, la Covid n’a pas encore montré le bout de son masque, puisque les faits se déroulent juste avant.

Aurélie Delahaye nous embarque dans la ville lisboète avec un tas d’acteurs de ce désastre, des amoureux français désemparés, des locaux victimes ou aveugles et une volonté de réparer le mal et sauver Senhor Zé dans une utopie légère qui se lit de bon cœur…

Un peu comme dans une aventure du Club des Cinq filmée par Klapisch !

J’ai autant aimé le livre que j’ai eu envie d’y retourner, chaque instant, tout en me disant qu’il me faudrait avant faire le deuil de celle qui m’a donné tant de joie par le passé.

À moins de faire comme Viviane, Menino, Joséphine, Rosa et les autres, et me battre contre cette absurdité montante qu’est de…

voyager dans des villes de croisière affrétées par Airbnb…

et laissées à quai de leurs centres historiques, tout en fermant les yeux sur les locaux jetés par-dessus bord.

Un beau roman que j’ai pris beaucoup de plaisir à lire, malgré tout. Merci Faty !


Vous aussi, laissez parler vos émotions dans une de ces rubriques :
avis d’expo, de spectacle ou encore avis de lecture ou avis de ciné !

L’autoédition…

Ou comment j’ai fait un bébé tout seul.

Au grand dam des maisons « closes » de la profession.

« Un livre, c’est un auteur et un éditeur. Point. Le premier pond l’œuvre et le second la féconde. Ainsi a toujours œuvré la litté-nature, mon p’tit poussin ! »

Alors des œuvres non fécondées, forcément, ça ne couve rien de bon.

« Ne vous étonnez pas que les libraires vous envoient vous faire cuire un œuf quand ils vous voient arriver avec votre panier sous le bras ! »

Seulement, les temps sont en train de changer, ma poule, dit l’âne.

Le marché de l’autoédition est en plein boum, au point de briser un tabou cette année en présentant un roman autoédité en vitrine d’un prix littéraire (« Bande de Français » de Marco Koskas au Prix Renaudot). Et bam !

« Bande d’illettrés, oui ! »

Même des auteurs déjà publiés chez des éditeurs se lancent dans cette forme de publication pour une plus grande liberté d’écrire et de publier ce qu’ils aiment, disent-ils, au risque de ne pas être largement lu.

Parce que le marché des livres reste toujours prisonnier des mains des grands éditeurs. Il n’y a qu’à voir les étals des librairies et les livres qui sont primés.

Le prix Renaudot a été attribué à… Bingo !
La bande de pistonnés des maisons closes.

Alors à quoi bon s’autoéditer ?

Mais pour la liberté d’écrire, on vous dit ! Pour la satisfaction d’aller au bout de son projet, surtout si l’on croit en lui, et pour le plaisir de partager avec une poignée de lecteurs enthousiastes.

Et parce qu’il vaut mieux y aller seul que mal accompagné.

Car trouver le grand amour avec un éditeur (à compte d’éditeur, je parle), pour accoucher d’un roman aimé et le porter jusqu’à son succès, est chose rare1. Souvent on se contente du premier gentil qu’on trouve, pour un mariage de raison mais sans grand sentiment1bis.

Et puis, en autoédition, on peut parfois mieux s’en sortir qu’avec un éditeur.

Alors, mon dernier roman, Harkness, j’ai décidé de le faire tout seul.

Après avoir trouvé portes closes chez de nombreuses maisons d’édition, je me suis rendu chez les banques de « s’permettre de s’auto-publier» sur les multiples plateformes dédiées.

Et là, quelle n’a pas été ma surprise !

Toutes vous promettent des étalons en puissance avec une qualité de prestations irréprochable pour une jouissance de revenus mirobolants en retour.

Bien sûr, toutes n’en voulaient qu’à mon argent, il n’y avait qu’à les regarder soigner leurs formes pour comprendre que j’avais mis les pieds dans un beau bordel.

Je ne vais pas ici vous noyer dans un comparatif des différentes enseignes au risque de la confusion (il y aurait trop de choses à en dire2), mais seulement témoigner de mon expérience, laconiquement.

À mon entrée sur les plateformes d’auto-publication, j’ai d’abord longuement reluqué le cas de Librinova, très attirante dans sa tenue transparente, et recommandée par certaines maisons « closes » maquées avec.

Mais l’idée de devenir la poulette d’un agent littéraire, une fois que mon livre s’est bien vendu (1000 ebooks quand même !), m’a semblé un peu pervers.

Après avoir éliminé les trop « vulgaires » Lulu, Kindle d’Amazon, Iggybook, à services minima3, m’être embrouillé avec Atramenta pour usage de pratiques à compte d’auteur4, je suis finalement monté avec Publishroom pour obtenir l’insémination de mon roman.

Pour 690 euros, elle me faisait la totale (correction, mise en page, couverture par un graphiste, distribution sur réseau Hachette…), un rapport qualité/prix imbattable, avec un contrat simulant parfaitement l’autoédition, le pied quoi !

Après trois semaines d’une collaboration enthousiaste, au moment de signer le contrat d’autoédition, voilà qu’elle décide d’y mettre un terme, du fait que je lui demandais d’y préciser formellement ce qu’elle me vantait oralement.

En effet, c’était du vent. Je n’ai eu aucune explication. Merci, au revoir !

Frustré, je suis allé me consoler dans la chambre de Bookelis5, sa collègue, avec une tout autre pratique puisqu’elle, ne simulait pas. J’étais l’éditeur, à moi de prendre mes responsabilités jusqu’au dépôt légal et gérer ma petite entreprise une fois notre affaire conclue… comme un grand garçon.

Me voilà dépucelé et un roman dans le tiroir.

Il ne me restait plus qu’à passer commande et jouer le rôle de l’éditeur jusqu’au bout, dans toute sa virilité, avec la promotion et la distribution, en draguant presse et libraires, sans oublier d’inscrire ma progéniture dans les salons littéraires, pour lui offrir un bel avenir.

Le mieux, c’est encore de voir le bébé… il est tout beau et tout rose !

« Hein, mon bébé ? Oh, faut que je change encore ta couche d’emballage
pour que tu sois propre avant la prochaine commission ! »

Pour le prendre dans vos bras, c’est par ici >>


1 – chaque éditeur mise sur 5% des manuscrits qui lui sont soumis.

1bis – ce n'est pas le cas de mon premier amour. 
Salto, je t'aime toujours ! 🙂

2 – vous pouvez me poser vos questions en commentaires et 
j’y répondrai plus précisément.

3 – ces low cost de l’activité avec tout en options ne convenaient pas 
à mon besoin d’une édition pro complète, papier et ebook. 
Je n’ai donc pas poussé l’étude plus loin.

4 – la majorité des plateformes simule en fait un contrat d’éditeur 
à compte d’auteur en proposant des services payants contre des droits 
d’auteur en retour, plus avantageux que les maisons classiques 
comme Edilivre, 
selon le mode de vente.

5 – j’ai payé rubis sur ongle chaque service (presque 1000€ au total), 
pour un rendu très pro. Le bémol, c’est de n’avoir toujours affaire 
qu’à une seule interlocutrice et jamais directement aux intervenants. 
Dans le cas de la création de la couverture, par exemple,
c’est assez laborieux pour parvenir à un résultat satisfaisant. 
Rien ne m’empêche la prochaine fois de solliciter des professionnels 
« de luxe » (externes à la plateforme), avec un coût potentiellement 
plus élevé mais une prestation certainement plus optimale.

Harkness entre à la BNF

Aujourd’hui, c’est son premier jour d’embauche… à mon deuxième !

Comme son grand frère, Des Bleus à la belle étoile, il y a trois ans déjà. Le même teint rose mais un peu plus épais, et pourtant il ne fait pas de rugby. Regardez comme il est beau !

Il est plutôt dans la musique, mon Harkness. Bruce Springsteen, vous connaissez ?

Lui non plus, faut lire… Quelle histoire !

Depuis ce matin, il la raconte aux lecteurs de tous âges. C’est ça son travail !

L’autre jour, il a déposé sa candidature à la BNF*, de façon tout à fait légale… la démarche souple, le pelliculage brillant gominé (vous m’connaissez, je l’ai bien arrangé, mon fils), quand le formulaire commence à le brocher… genre !

– Nom, prénom !
– Harkness, au cœur d’un concert de Bruce Springsteen.
– Matricule !
– 979-10-227-8347-7.
– Vous êtes nouveau ?
– Euh, oui.
– Lieu de naissance ?
– Imprimerie Jouve en Mayenne.
– Taille, largeur, poids !
– 210 cm, 148cm, 254 pages.
– La catégorie érotique, ça vous intéresse ?
(mais enfin !)
– Euh, non… plutôt roman, classique.
(c’est bien, mon fils !)
– Je vois… chiant quoi. Et vos prétentions salariales ?
– 16 euros par livre.
– Et vous voudriez commencer quand ?
– Dès que possible…
– Publiez-vous ici le 14 décembre, on fera un essai.
– Merci m’sieur le formulaire.

Et voilà comment il est arrivé là. N’hésitez pas à aller le voir et demander ses services… C’est son travail maintenant… Vous lire son histoire !

Pour le trouver, je vais tout vous expliquer, c’est pas compliqué… 
Suivez-moi >>

(*) Bibliothèque nationale de France

Le double – Extrait

Cliquez dessus pour agrandir

L’entretien


.

« Qu’est-ce que j’fous là ? »

La scène n’était pas du goût de Marc. Mais alors, pas du tout. Dix mètres carrés à peine contenaient un bureau, acculé à la fenêtre, une armoire, calée dans un coin, une table ronde et quatre chaises, coincées entre la porte et la cloison opposée. Une moquette gris sale contrastait avec des murs blanc d’hôpital, exposant des publicités pour crédits innovants et des dessins d’enfants tout aussi déroutants, telles des œuvres de vies professionnelle et familiale en parfaite harmonie.

« Il ne se sont pas foulés pour l’décor ! »

Partout, des monticules de papiers en pagaille gisaient tels des cadavres sur un champ de bataille. Une chemise bleue sur la table attira l’attention de Marc. Il pouvait lire son nom dessus, au feutre rouge et en lettres majuscules. Elle devait sans doute contenir son CV qu’il avait appris par cœur tout le week-end avec Julien. Son pote était même repassé la veille pour une ultime répèt’ de l’entretien.

– T’es parfait ! s’était-il contenté de dire avant de rentrer chez lui, pas complètement serein.

Il était parti pour Montpellier, tôt ce mardi matin, jusqu’à contrarier les plans de Sophie qui avait prévu d’être chez ses parents pour dimanche midi. Marc l’avait appelé vers quatorze heures trente. Ne voyant pas arriver le commercial, il n’était plus très sûr de l’heure du rendez-vous.

– Oui, c’est bien ça, devant l’entrée de l’immeuble, au 18, boulevard Montmartre… Il s’appelle Jean-François Szwarzinski de la société Conseil & Solutions. Je te l’ai écrit, non ?

Oui, une note très détaillée reprenait ces informations ainsi que l’essentiel à savoir sur la mission. Quand le commercial finit par se présenter, interrompant alors leur conversation. Jean-François et Marc étaient maintenant installés autour de cette table, en faux sourires de vrais amis qu’ils n’étaient pas. Et comment auraient-ils pu l’être ? se demandait bien Marc, à l’étroit dans un costume-cravate sombre prêté par Julien, une taille en dessous. L’homme à ses côtés était à peine plus jeune que lui, la taille replète, rembourrée aux déjeuners d’affaires, le teint hâlé, revenant de vacances sur la côte d’Azur, lui avait-il glissé dans l’ascenseur, transpirant comme jamais dans un costume Armani tout droit sorti du pressing. Il était impeccable, des dents d’un blanc immaculé assorties à sa chemise, pour un sourire aussi bien tiré à quatre épingles. Pour Marc, il était le prototype du mannequin robotisé avec une intelligence artificielle.

Tout l’opposé du genre humain qu’il incarnait encore.

Il était quinze heures quinze et madame Gimenez n’était toujours pas revenue comme elle l’avait promis. Marc commençait à se sentir à l’étroit dans cette pièce. L’air y était autant étouffant qu’à l’extérieur. La clim’ ne devait pas exister dans ces vieux bâtiments du neuvième, pourtant au mobilier tout neuf. Il répétait dans sa tête, machinalement, des phrases sans queue ni tête.

« Je m’appelle Marc Péron. J’ai douze ans d’expérience.
J’ai fait toute ma carrière en sociétés de service.
Au cours de laquelle j’ai évolué dans des postes clés.
Je suis Chef de projet en Maîtrise d’Ouvrage.
Ces cinq dernières années, j’ai acquis l’expertise du métier du crédit
et de la conduite de projets.
J’ai été amené à effectuer toutes les tâches qui incombent à la Maîtrise d’Ouvrage.
Mes qualités ?
Rigueur, autonomie, écoute, bon relationnel, adaptabilité et qualités rédactionnelles.
Si vous le souhaitez je peux vous détailler une ou plusieurs expériences en particulier.
Je m’appelle Marc Péron. J’ai douze ans d’expérience.
J’ai fait toute ma carrière… »

– Tout va bien se passer, Marc. Je connais très bien madame Gimenez. En deux ans sur ce compte, elle ne m’a jamais recalé quelqu’un.

Jean-François masquait sa nervosité, épinglant de nouveau son sourire à ses oreilles. Marc, lui, était moins doué. Sa crispation lui donnait un air niais, s’accrochant à son texte, consciencieusement, et en silence.

« Je m’appelle Marc Péron. J’ai douze ans d’expérience… »

Le commercial continuait de faire impression, la main sur le bras de son poulain.

– Ça reste entre nous, mais je crois qu’elle… hum, m’aime bien, quoi ! dit-il, avec un clin d’œil complice.
– Ah ! s’exclama le candidat, retirant aussitôt son bras par réflexe.

« Je m’appelle Marc Péron. J’ai douze ans d’expérience… heu… »

– D’après Julien, t’es plutôt à l’aise en entretien, poursuivit Jean-François d’une voix inquiète. Tu m’as l’air tendu, là. Ça va aller, tu crois ?
– Oui… heu, tout à fait, répondit Marc, surjouant l’assurance. Hum… J’ai l’habitude, tu penses, heu… Jean-François.

« Je m’appelle Marc Péron. J’ai… heu… »

– Ah, je l’entends qui vient, dit le commercial, épongeant vite fait son front transpirant.

Marc était soudain paniqué. Il regrettait déjà d’être là. Il se leva en même temps que Jean-François, la peur au ventre, quand elle fit son entrée.

Elle était petite, plutôt tassée, dans une jupe et un chemisier assortis à son air sombre qui lui donnait une quarantaine d’années.

– Excusez-moi, monsieur… heu… Var… zinski, c’est ça ? dit-elle en lui tendant la main avant de se raviser. Oh ! Il est vrai que l’on s’est déjà salués.
– Oui, c’est ça, répondit le commercial, arborant un sourire qui se voulait irrésistible. Jean-François Szwarzinski, précisa-t-il, accentuant sur le S, histoire de réhabiliter son nom.
– Encore un problème de production qui nous tombe dessus au mauvais moment, poursuivit-elle, comme s’il n’avait rien dit. À croire que je dois tout faire dans cette équipe. Bien, monsieur Zarvinski, reprit-elle en le dévisageant, à nous ! On s’est déjà entretenus, il me semble. Votre tête me dit quelque chose.
– Oui, c’est moi qui vous ai présenté Jasmine, il y a trois mois. Vous vous souvenez ? dit-il en rougissant.
– Ah oui ! … Jasmine, bien sûr. Suis-je bête ! Donc, vous m’amenez un chef de projet confirmé, c’est bien cela ?
– Tout à fait, répondit Jean-François, quelque peu décontenancé. Je vous présente Marc Péron, notre chef de projet senior qui devrait répondre sans aucun doute… hum, à votre appel d’offres.
– Je l’espère, dit-elle en déshabillant furtivement du regard le candidat, le pantalon et les manches de chemise manifestement trop courts. Il nous faut quelqu’un qui rentre dans le moule rapidement. Les projets s’accumulent et tout le monde est débordé dans l’équipe. Asseyez-vous, je vous en prie.

Les deux hommes s’exécutèrent, secoués d’entrée par ce flot de paroles. Marc cherchait à retrouver son texte qui semblait s’être noyé dedans.

« Je m’appelle Marc Péron. J’ai… heu… ça fait comment après ? Merde ! … J’ai, heu… un porte-clé… heu, n’importe quoi ! Un poste clé en chef de projet… Ah oui ! J’ai douze ans d’expérience… Heu… Putain ! ça fait comment après ? »

– Je suis Bénédicte Gimenez, responsable Maîtrise d’Ouvrage, domaine Recouvrement Crédit conso, commença-t-elle en guise de présentation lapidaire.

Puis, sortant de la chemise bleue quelques feuillets, elle poursuivit.

– Bien ! J’ai parcouru votre CV et il m’a l’air… très… heu… intéressant, finit-elle par dire avec une moue dubitative. Le mieux c’est que vous vous présentiez, si vous voulez bien.

Marc n’écoutait pas, il cherchait toujours ses mots, en vain. Au bout de quelques secondes, Bénédicte s’impatienta, le regard happé par les manches de veste de son interlocuteur.

– Je vous écoute !
– Heu, oui, bredouilla Marc, comme si elle venait de le réveiller. Je m’appelle Marc Péron. J’ai douze ans d’expérience… heu…

C’était la seule chose dont il était sûr désormais. Marc se sentait déstabilisé comme un débutant sur scène, incapable d’improviser quoi que ce soit. Il jeta un œil sur le CV, posé devant la cliente, parvenant à le lire à l’envers. Il se saisit alors de chaque mot comme une bouée de sauvetage dans le naufrage qui s’annonçait, s’accrochant à des titres, des dates, sans verbe, incompréhensible. Cela lui rappela l’oral de français, au bac, où il avait séché sur l’œuvre de Racine.

– J’ai… le recueil des besoins, euh… le Cetelem… l’assistance à Maîtrise d’Ouvrage, qui lui incombe… il murmurait désormais.
– Pardon ? Vous pouvez parler plus fort ? demanda Bénédicte, tendant l’oreille.
– Oui, c’est ça ! s’exclama Marc. J’ai été amené à effectuer toutes les tâches qui incombent à la Maîtrise d’Ouvrage.

La phrase avait émergé de sa mémoire telle une bouteille en mer avec le reste du message dedans. Sans respirer, il but son texte comme un mort de soif.

– Rédiger l’expression du besoin, valider les spécifications fonctionnelles, préparer et exécuter la phase de recette, accompagner la conduite du changement, assurer le support auprès des clients, mes qualités ? rigueur, autonomie, adaptabilité, bon relationnel, écoute, qualités rédactionnelles, si vous le souhaitez je peux vous détailler une ou plusieurs expériences en particulier.

Voyant sa cliente éberluée devant cet inventaire à la Prévert, Jean-François l’interrompit afin de recadrer sa présentation.

– Oui, justement Marc, peux-tu nous parler de ta dernière mission au Cetelem qui cadre tout à fait avec la demande de madame Gimenez ? … Hein ?

Ses yeux semblaient l’implorer. Marc reprit son rôle, d’un ton très assuré.

– Oui, tout à fait… Jean-François !
– Je vous écoute, lâcha Bénédicte, soufflant profondément, l’air sceptique.

Marc prit une longue inspiration et revint sur la scène pour un second acte. Les yeux toujours rivés sur son CV, il se mit à improviser, comme ça lui vint, avec une décontraction retrouvée.

– C’était vraiment sympa. Bonne équipe, bonne ambiance… de travail, je veux dire. Heu… Avec les collègues on a pas mal été dans le besoin. Heu… Je veux dire dans la rédaction du besoin.

Marc souriait en entendant ses mots derrière lesquels il imaginait un tout autre environnement, plus social, dans lequel il avait toujours baigné, comme les colos ou les centres aérés. Il s’appropriait chaque mot, chaque fonction sans complexe, brodant au fil des grimaces de son interlocutrice.

– Moi j’étais plus dans l’animation, vous voyez… de… de comités !
– Vous avez assuré des comités de pilotage ? demanda Bénédicte, cherchant tant bien que mal à se raccrocher à quelque chose.
– C’est c’la oui ! répondit-il sur un ton distingué.

Il avait retrouvé le goût de la scène, cherchant encore à peaufiner son personnage. Il se laissa même aller à un humour qui, ici, ne pouvait pas passer. C’était plus fort que lui.

– J’avais mon permis, haha ! … hum… enfin la permission de mon chef… enfin, j’veux dire…
– Marc a pris en charge un projet pilote réglementaire, intervint le commercial, volant à sa rescousse, sur l’éco-prêt à taux zéro qui a permis au Cetelem d’être le premier sur le marché. Sa rigueur et sa flexibilité y ont été très appréciées par ses responsables, vous savez.
– Le Cetelem, bien sûr ! s’agaça la cliente à l’évocation peu flatteuse des résultats de son principal concurrent. Et chez Sofinco ? je lis que vous avez également mené des projets stratégiques sur le crédit à la consommation. Racontez-moi plutôt !

Marc commençait réellement à douter de ses capacités d’improvisation dans ce domaine, cela devenait trop dur sans vocabulaire, il se contenta de lâcher, désabusé :

– Bah… j’y ai été aussi pilote.
– Pilote, ben voyons ! s’exaspéra Bénédicte, convaincue qu’il se moquait d’elle. C’est tout ?

Marc restait muet, sec comme à l’oral de français. Il avait capitulé. Le commercial ne savait plus comment rebondir, décomposé. Bénédicte était consternée devant la désinvolture de ce candidat.

– Je vais être directe avec vous, commença-t-elle ainsi, le CV de Marc entre les mains, le tournant et le retournant avec dédain. Je ne sais si vous êtes aussi brillant dans vos fonctions que je le lis ici, mais à l’oral vous présentez des lacunes évidentes. Nous recherchons des personnes qui savent s’exprimer clairement, être concises, synthétiques lors des prises de paroles dans les comités qu’il s’agira d’animer. C’est primordial dans notre métier. Mais là, laissez-moi vous dire, lâcha-t-elle sans ménagement, marquant une pause…

c’est un peu court jeune homme !

Que ne venait-elle pas de lui souffler ! La réplique qui devait tout déclencher. Il connaissait la tirade par cœur. Il se revoyait au théâtre, durant des heures, la réciter, et même la parodier jusqu’à agacer ses partenaires et son metteur en scène. Comme une évidence, ce CV, qu’elle regardait avec déconsidération comme un nez mol et ballant au milieu de sa figuration, allait devenir l’objet d’une improvisation de haut vol qu’il préparait déjà dans sa tête. Au diable cette comédie, tous ses mots incompris, il allait leur redonner vie. Il sourit, prit sa respiration et devint Cyrano-Savinien-Hercule de Bergerac et rien d’autre, s’adressant désormais à la vicomtesse Gimenez.

– On pouvait dire, je sais, bien des choses en somme, récita-t-il machinalement… En variant le ton, par exemple, tenez !

Il se leva d’un bond, s’empara du CV des mains de la cliente, réfléchit un instant et se lança, la voix haute et claire, et le geste ample, de sa main libre.

– Décisif : « Moi Madame si j’avais un tel CV, il faudrait sur le champ que je l’embauchasse. »

Bénédicte ouvrit de grands yeux de stupéfaction, Jean-François en tomba presque de sa chaise.

– Bienveillant : « Vous ne trouverez pas mieux hélas, pour animer vos comités en diplomate ! »
– Mais enfin ! tenta d’intervenir le commercial, se levant à son tour.

Marc, une tête de plus que lui, le convint d’un mouvement de sourcils de se rasseoir puis reprit la déclamation de son CV en vers et contre tous. Il s’empara de l’espace. Le décor avait changé, la pièce et le public aussi. Jean-François et Bénédicte restaient scotchés au fond de leurs chaises, n’osant plus bouger.

– Descriptif : « C’est des blocs, c’est des titres, c’est des dates… que dis-je c’est des dates, c’est douze ans de ma vie ! »

Il s’approcha de la responsable, gênée.

– Curieux : « Racontez-moi cette expérience-ci. Au Cetelem, Madame, ou bien chez Sofinco ?»
– Pro : « Aimez-vous à ce point ce boulot, que professionnell’ment vous vous préoccupâtes de vendre ce savoir à de multiples boîtes ? »
– Évident : « Ça, madame, lorsque vous le lisez, la rigueur du travail ressort-elle du CV… sans que mon cher voisin n’ait à vous le souffler ? »

Il regagna doucement sa place, toujours debout mais sans lâcher le regard de Bénédicte, impressionnée par l’aisance et la prestance du comédien.

– Prévenant : « Gardez-vous, votre choix entraîné par un profil mieux fait, de tomber sur pas d’bol ! »
– Tendre : « À qui d’autre donneriez-vous ce rôle, sans que vos yeux ne voient ses qualités de cœur ? »

Bénédicte se sentit rougir sous le regard pénétrant de Marc qui revint tout sourire vers le commercial en nage dans son costume.

– Pédant : « Cet animal, l’assistant extérieur, qu’on appelle prestataire de services, à l’ancienne, il usait le nom de péripatéticienne. »

Jean-François, se sentant insulté, se leva d’un bond pour mettre un terme à ce numéro grotesque mais Marc le rassit aussitôt, la main sur l’épaule.

– Cavalier : « Quoi, l’ami, ce ton vous incommode ? Restez donc bien assis, j’en réécris les codes ! »

Bénédicte échangea un regard de compassion avec le pauvre homme. Marc enchaîna.

– Emphatique : « Quel parcours peut, magistral CV, t’arriver à hauteur, excepté l’Odyssée ? »
– Dramatique : « On se le déchire partout en France ! »
– Admiratif : « Pour un tel profil, quelle prestance ! »

La responsable sourit, acquiesçant inconsciemment les propos.

– Lyrique : « Est-ce un poème, êtes-vous Apollon ? »
– Naïf : « Ce testament, quand l’exécute-t-on ? »

Bénédicte ne put retenir son rire, jetant un regard désolé vers le commercial que Marc interpella.

– Respectueux : « Souffrez monsieur, que je vous gêne. C’est là ce qui s’appelle avoir l’art de la scène ! »

Puis, avec un accent paysan bien imité, il ajouta :

– Campagnard : « Hé, ardé ! c’est-y un CV ? hein ! C’est queuqu’feuille de laitue ou ben queuqu’palmier nain ! »

Bénédicte éclata une nouvelle fois de rire, ignorant le commercial désabusé par cette comédie.

– Militaire : « Pointez contre plaisanterie ! »
– Pratique : « Voulez-vous le mettre en loterie ? Assurément, Madame, ce sera le gros lot ! »
– Enfin, parodiant Pyrame en un sanglot…

Il marqua une pause, cherchant ses mots, histoire de finir sans fausse note, brandissant le CV.

– Ah, voici le buvard qui de l’encre de son maître s’est souillé lâchement ; il en rougit le traître ! »

Le ton de sa voix devint plus solennel, la suite plus personnelle, comme s’il s’avouait à lui-même n’avoir pas su relever le défi que lui avait lancé son ami.

– Voilà ce qu’à peu près, oh, je vous aurais dit, si j’avais eu ce peu de lettres et d’esprit. Mais d’esprit, ô le plus lamentable des êtres, j’en usai même pas un atome, et de lettres vous ne vîtes que les trois qui forment le mot : sot !

Marc se rassit calmement, souriant, l’envie presque de saluer, fier de lui assurément. Quelle improvisation ! S’il n’aura pas le poste, il aura eu au moins une répétition.

Julien avait tort, cela ne pouvait pas marcher, on ne s’improvise pas un rôle sans en connaître chaque trait.

Bénédicte tenta de retrouver ses esprits et son rôle à elle de responsable d’équipe qui menait un entretien parti à vau-l’eau.

– Bien bien … hou ! … On peut dire que vous êtes un sacré numéro ! … Votre présentation n’est pas… piquée des vers, osa-t-elle ajouter en souriant de son jeu de mots. C’est le cas de le dire. Je viens de vivre une expérience unique en son genre. J’ai noté votre capacité, certes, à vous exprimer à l’oral, merci pour la leçon, mais je ne suis pas sûre que ce soit ce que nous recherchons. Des comiques nous en avons déjà chez nous, croyez-moi. Et nos projets ne sont pas des pièces de théâtre, et encore moins ce genre de simulacre, aussi bien joué soit-il.

Jean-François ne savait plus quelle posture prendre, il tenta d’intervenir, confus.

– Oui… euh… c’est effectivement nouveau pour moi aussi. Je crois que Marc a été piqué au vif par votre remarque. Mais… hum… Sachez que ses compétences, que nous pouvons reprendre plus classiquement…
– Écoutez, l’interrompit aussitôt Bénédicte, je ne pense pas qu’il soit nécessaire de poursuivre. Heu… Je vois deux autres candidats cet après-midi, qui, eux, ont une formation d’ingénieur. Ce qui n’est pas négligeable d’ailleurs, poursuivit-elle embarrassée.

Elle scrutait le CV que Marc avait reposé sur la table, cherchant des arguments pour clore l’entretien et passer au suivant. Elle s’adressa à lui directement, prenant alors un air dénigrant.

– Il me semble que vous n’êtes que… bac plus deux… Oui, c’est ça ! Vous n’avez jamais envisagé de poursuivre vos études, au delà ?

Marc, sûr de lui, bien installé dans son rôle, répliqua du tac au tac.

– Fallait-il que je fasse oh ! … Énarque d’école, pour avoir grâce à vos yeux, et le rôle ?
– Le rôle ? Vous voilà reparti dans vos rimes de Rostand. Oh ! s’exclama-t-elle soudain, répétant la phrase dans sa tête, en comptant, elle venait de faire un alexandrin.
– Oui, précisa Marc, ne jouons-nous pas tous un rôle, ici présent ?
– Je ne vois vraiment pas ce que vous voulez dire, s’agaça la cliente, à court d’argument. Cessons cette comédie, j’n’ai plus envie de… Han !

Elle n’osa terminer sa phrase. Elle rimait malgré elle. Marc poursuivit sa démonstration en se tournant vers Jean-François.

– Qui joue la comédie, ici ? Moi en apparence, c’est vrai… Mais dans le fond, qu’en savez-vous, sans me prendre à l’essai ? Et vous, engoncés dans vos costumes pré-taillés, que valez-vous au delà des effets de votre sérieux habillé ?

Il prit alors à partie Bénédicte, la voix sincère, amicale, sans la quitter des yeux.

– Avoir l’esprit habile, l’adapter en toutes circonstances, n’est-il pas une qualité avant d’être une performance ? Vous allez voir deux autres candidats, dites-vous… Souvenez-vous bien au moment de votre choix, lequel aura le moins joué la comédie de nous trois. Méfiez-vous des codes qui masquent la vérité. Les transgresser vous expose à bien plus de transparence que vous ne croyez.

Marc venait de faire mouche. « À la fin de l’envoi je touche ». Bénédicte était tombée sous son charme, la pointe de sa verve au cœur.

– Bien… euh… je crois que nous allons en rester là, dit-elle pour conclure le débat.

Elle se leva, perturbée, titubant légèrement sous ses pas, comme si elle avait trop bu.

– Je vous raccompagne… Suivez-moi, c’est par là !

Elle se mit à compter avec ses doigts, c’était clair, il l’avait possédée. Marc et Jean-François la suivirent, légèrement en retrait. Ce dernier ne put s’empêcher d’exprimer le dépit de sa pensée.

– Lui balancer le CV à la figure, quel… grotesque !
– Mais quel geste !

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Dans la maison

Allez savoir qui manipule qui dans ce thriller bien amené par François Ozon, très jubilatoire j’ai trouvé dans son approche et de par la prestation de ses acteurs bien choisis.

Luchini égal à lui-même, le jeune Ernst Umhauer, banal élève doué très crédible de normalité, Kristin Scott Thomas, presque aussi nature que sa galerie d’arts invraisemblables est naturiste et où Yolande Moreau, dédoublée en sœurs jumelles peinturlurées des pieds à la tête, complète parfaitement les objets et autres tableaux loufoques. Je mettrais un bémol pour la famille des Rapha, père et fils, d’une classe moyenne caricaturée à souhait et dont Emmanuelle Seigner force un peu trop le trait. Bref !

Qui manipule qui ?

Telle semble être la question à se poser à la sortie du film. Mais sans aucun doute le réalisateur le spectateur. Telle semble être la seule réponse que j’ai trouvée.

Car si cette question se pose en fil conducteur pour le spectateur tout le long du film, c’est pour répondre à une autre question que traduit sous la forme d’un schéma simple le professeur de français à son élève.

Quel est le désir, le but final de celui qui écrit… ou qui manipule ?

A cette question, je vous attendais au tournant de la chute, monsieur Ozon, avec autant de délectation que la déception a été grande à l’arrivée. Je suis entré dans le roman avec vous, avec le professeur, avec l’élève.

Et comme eux, je me suis pris au jeu, et comme eux, je ne voulais pas être déçu. Oh non, monsieur Ozon !

Car à trop manipuler, on finit par laisser des traces, un peu grossières parfois jusqu’à casser son jouet, mon jouet… à trop appuyer dessus.

Je ne détaillerai pas ici cette déception pour ne rien dévoiler de la chute, mais devenu co-scénariste forcé, la fin méritait à mes yeux plus de subtilité, de machiavélisme peut-être, de crédibilité surtout sur certaines scènes, enfin plus d’originalité qui aurait laissé ce spectateur-réalisateur en manipulé conquis.

Cet avis est purement subjectif et n’enlève rien à l’intérêt, la curiosité ou le plaisir du film que je vous conseille d’aller voir pour vous l’approprier. Vous qui écrivez ou avez écrit, c’est une vraie leçon d’écriture qui vous fera sourire. Et avec quel professeur !

Mais par pitié, à toutes les questions que le film pose déjà, ne vous rajoutez pas celle-ci, inutile : « Mais pourquoi il n’a pas aimé la fin ? ». Il n’y a pas d’explication rationnelle.

 

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Marie et femme (fin)

Petite fable de moeurs contemporaine… en six épisodes


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5ème épisode…

Simon ne rentra qu’au petit matin.

Sarah avait fini par s’endormir sur le canapé, d’épuisement d’avoir trop pleuré. Elle y était prostrée, comme si son mari avait abusé d’elle, meurtrie dans son cœur, souillée dans son amour propre. Quand elle se réveilla, elle comprit qu’elle n’avait pas rêvé et se remit à sangloter. La veille, elle n’avait pas eu la force d’appeler sa sœur. Et pour lui dire quoi ?

Elle ne savait plus quoi penser, ni ce qui l’attendait vraiment à l’hôtel.

Tout cela était invraisemblable et pourtant si réel.

Enfin calmée, elle appela l’école pour prévenir de son absence, prétextant être souffrante. Puis ce fut le tour de Marie alors que Simon semblait se reposer dans leur chambre.
Sa sœur l’écoutait pleurer sans rien dire. Elle savait, elle, ce qui attendait Sarah.
Si elle se taisait, c’était parce qu’elle l’avait voulue cette issue ignoble.

« Elle s’en remettra. »

Comme quand elles étaient ados, Marie se souvenait.
Elles en avaient usés de ces petits coups de « salopes », comme elles aimaient les appeler. Leur but ? Casser l’idylle de l’autre quand il commençait à durer.
À l’époque, elles ne supportaient pas d’être séparées trop longtemps.
Seulement aujourd’hui elles étaient grandes, des femmes et des mères responsables.
L’idée avait germé dans la tête de Marie dès qu’elle sût qu’elle allait perdre Mathias.
Elle ne voulait pas rester seule. Ces injustices les rapprocheraient. Elles élèveraient leurs enfants ensemble, laissant les frères Gaspard filer avec leur lâcheté entre les jambes.

« Courage, sœurette ! … Je ne veux rien savoir…
Mais sache, toi, que jamais je ne t’en voudrai de quoi que ce soit !
– Mais ce n’est pas moi, Marie ! »

Quand elles raccrochèrent, Simon attendait dans le corridor, habillé et pas rasé.

« On y va ? »

Sarah découvrait l’hôtel pour la première fois.
En entrant, un jeune homme lui sourit comme s’il la connaissait.
Il regarda ensuite Simon avec un air complice.

« Cela faisait longtemps, monsieur Gaspard.
Vous avez de la chance, la dix-sept est prête.
D’habitude on ne libère pas les chambres si tôt. »

Simon interrompit le réceptionniste qui n’était pas celui de la veille.

«  Nous ne venons pas pour une chambre. J’aurais aimé revoir l’extrait de la vidéo que m’a montré hier votre collègue. Est-il là, ce matin ?
– Ah, m’sieur Robert ! c’est l’patron. Il ne reviendra que vers treize heures, je suis désolé. Si vous voulez bien repasser à ce moment-là, monsieur Gaspard.
– Je ne suis pas… oh, peu importe ! … Cette femme est-elle déjà venue ici ? lui demanda Simon en désignant Sarah. »

La présumée coupable se sentait comme dans un tribunal face à un procureur impitoyable, prêt à tout pour la confondre, quitte à l’humilier.

« Je ne comprends pas, répondit l’employé. Vous voulez dire, heu, sans vous ?
– Je ne suis que le frère jumeau de son amant. Est-ce que vous comprenez mieux la situation, maintenant ?
– Bah… heu… »

Ce couple était décidément aussi bizarre que libertin. Quand la femme éclata en sanglots.

« Je ne suis jamais venue ici. Vous devez confondre avec une autre ! »

À quoi jouaient-ils, pensa le réceptionniste ?

« Une autre qui te ressemblerait comme deux gouttes d’eau, peut-être ?
la provoqua le procureur général.
– Je n’en sais rien… et pourquoi pas, puisque ce n’était pas moi ? »

Simon saisit violemment le bras de sa femme.

« Tu te fous de moi ? Ta sœur viendrait ici en cachette retrouver mon frère ? Tu entends comme tu es grotesque ?
– Heu… sa sœur ? … votre frère ? »

Le jeune homme était définitivement largué.

« Je n’sais pas, mais ce n’était pas moi, j’te jure ! Pourquoi me harcèles-tu ? »

Et les larmes coulèrent de plus belle. Simon en eut assez.

« Viens, on rentre ! … Merci monsieur. Désolé pour le dérangement ! »

Il la déposa devant leur appartement, Quai Bourbon, et disparut de nouveau.
Il ne revint que le lendemain pour prendre ses affaires et quitter le domicile conjugal. Définitivement.

« Je demande le divorce. »

Au bout de trois jours, Sarah décida d’affronter sa sœur, pour comprendre.
Cette dernière ne s’expliquait pas non plus cette situation étrange.
Effectivement, si ce n’était pas Sarah dans la vidéo, cela ne pouvait être qu’elle.
Mais elle lui assura que non. C’était absurde !
Quelqu’un semblait les manipuler. Mais qui et pourquoi ?
Elle laissa s’installer le trouble dans la tête de Sarah qui était plutôt naïve de nature.
Et tout ce que disait sa sœur était parole d’évangile, depuis leur enfance.
Marie n’eut aucun mal à gagner sa confiance. Elle lui proposa d’emménager avec elle et les enfants dans leur villa de Jouy-en-Josas, la maison était assez grande. Sarah accepta, laissant l’appartement du Quai Bourbon à Simon, dans un commun accord.

Puis vint ce jour où Marie se rendit chez Simon pour récupérer quelques affaires, à la demande de sa sœur. Après avoir bu le thé ensemble, pareil à ce matin à l’origine des imbroglios, son beau-frère lui proposa de la revoir le lendemain, pour dîner. Il avait besoin de parler. Il se sentait proche d’elle du fait qu’il la considérait en victime comme lui. Marie, bien que très surprise, accepta. Avec une idée derrière la tête.

« Dix-neuf heures trente, à la Petite Auberge ? C’est juste en face de l’…
– Tu ne vas pas me refaire le coup une deuxième fois, Simon.
– Chez Bofinger, à Bastille, sinon ?
– Et pourquoi pas ici ? Quelques petits fours d’un traiteur et une bonne bouteille m’iront très bien.
– Parfait… heu, ça m’ira aussi… À demain ! »

Marie ne dit rien à Sarah. Elle arriva chez Simon le lendemain, vers vingt-heures trente.
Une heure de retard, juste pour qu’il s’impatiente, c’était sa vengeance.
La soirée passa, très courtoisement, de petits fours en confidences.
Quand, une bouteille de Clos Vougeot 1976 plus loin, Marie se laissa embrasser par Simon qui la désirait ardemment. Elle n’en espérait pas tant.
Enfin ! il s’ouvrait à elle, comme ce bon vieux pinard de Bourgogne, resté bien trop longtemps en cave. Mais elle n’en but qu’une gorgée, gardant le reste pour plus tard.
Le meilleur. Elle prétexta que ce n’était pas correct vis-à-vis de sa sœur.
En fait, elle jubilait de voir les rôles s’inverser. Il acquiesça, encore plus excité.

Dès le dîner suivant, à peine Simon avait-il débouché un Romanée-Conti 1990 qu’ils firent l’amour sur le tapis du salon, sans autre préliminaire, laissant tout le temps au précieux vin de décanter sur la petite table avec deux verres encore pleins. Marie ne rentra qu’au petit matin, expliquant à sa sœur qu’elle avait peut-être rencontré quelqu’un, mais ce n’était pas assez sérieux pour qu’elle le lui présentât. Sarah admirait Marie, bien plus libre et dévergondée qu’elle. Jamais elle n’oserait sortir avec un autre homme après sa rupture avec Simon. Et encore moins juste pour… faire l’amour.

« Bai-ser ! Est-ce que tu peux essayer de le dire rien qu’une fois, sœurette ? »

Marie s’était créé un personnage de femme moderne, libérée, la trentaine assumée, avec ses armes à séduction massive. Sarah, elle, restait dans le modèle de leur mère, vieux jeu, catholique pratiquante, la femme d’un seul homme qu’elle n’arrivait pas à oublier : Simon.

Seulement, la relation avec son ex-beau-frère allait très vite décevoir Marie.

Si le poète-musicien connaissait sur le bout des doigts sa grammaire et ses gammes, elle ne pouvait pas en dire autant sur le plaisir des femmes. Certes, plus sensible et rieur que Mathias, elle avait malheureusement retrouvé en lui le côté routinier de son ex-mari à, ses débuts, avant leur explosive relation extra-conjugale. Cela venait sans doute de leur éducation bourgeoise très stricte. Sauf que l’un des Gaspard s’était émancipé, pas l’autre.

Au bout de quelques temps, Marie espaça ses rendez-vous avec Simon.
Ils parlaient plus qu’ils ne baisaient. Leurs ébats se réduisaient à peau de chagrin, par manque de créativité dont souffraient déjà ses écrits, aussi plats.
Jusqu’au jour où il lui suggéra de vivre ensemble.

« Il faudra bien un jour le dire à Sarah. »

Marie tomba des nues en se rhabillant.

« Tu n’es pas sérieux, Simon ! … Jamais je ne pourrais lui faire ça.
Passe-moi mon soutien-gorge, là sous ton pantalon ! »

Elle flaira à nouveau le danger, le même que ce jour où Mathias, à l’hôtel, lui avait annoncée qu’il voulait quitter sa femme pour elle. Cette fois, il lui fallait agir, et vite.

Le destin allait lui en donnait l’occasion.


6ème épisode…

Marie dorait au soleil sur la terrasse, dans sa villa de Jouy-en-Josas, quand Sarah débarqua. Elle semblait contrariée.

« J’ai déjeuné avec Mathias, ce midi. »

Depuis qu’elle avait emménagé dans la banlieue parisienne, l’institutrice avait fait prolonger son arrêt maladie (pour surmenage) jusqu’à la rentrée prochaine où l’attendait sa nouvelle affectation dans une école maternelle à Bièvres. Après une période sombre où elle ne quittait quasiment pas son lit, elle s’était ressaisie, passant ses journées dans le parc de Versailles et les musées de Paris. Marie, prise par ses escapades nocturnes chez Simon, ne la voyait pratiquement plus.

« Ah ? … et vous vous voyez souvent ? »

Il y avait comme une pointe de jalousie dans le ton de Marie qui les surprit, autant l’une que l’autre. Sarah ôta aussitôt sa sœur du moindre doute.

« Oh non ! c’était la première fois. Comme j’en avais marre de ses sms et ses coups de fil, j’ai voulu mettre les points sur les i.
– Et alors ?
– Bah voilà, c’est fait. Je lui ai dit que je n’avais aucune attirance pour lui. Bien au contraire… Il s’est vexé puis fâché.
– Tiens donc ! »

Marie éprouvait une satisfaction intérieure à retrouver le mauvais caractère de son mari. Du plaisir aussi, à repenser à l’autre en lui. Sarah poursuivit.

« Je lui ai dit que si ce qu’il t’avait fait ne me regardait pas, cela avait fini par détruire nos deux familles. Là, il s’est emporté.
– Ah !
– Mais ce n’est pas le plus grave.
– …
– Il m’a dit cette chose terrible.
– Quoi donc ?
– Que c’était bien toi à l’hôtel !
– Il… il t’a dit ça ? »

Marie ne put se retenir de sourire. Tout son corps en elle semblait vouloir répondre d’une seule voix : « et comment ! ». Mais elle se tut et laissa sa sœur terminer.

« Oui, il m’a raconté comment il s’était mépris au début, pensant que j’étais venue à son rendez-vous. Jusqu’au jour où il a découvert la vérité qui l’a poussé à demander le divorce.
– Il t’a vraiment dit ça ?
– Au début, je ne l’ai pas cru. Et puis, il m’a dit :
« quelle autre explication, Sarah ? Réfléchis ! »
– Et tu le crois maintenant, c’est ça ?

– Quelle autre explication, Marie ? »

Marie n’avait pas le cœur à fomenter ses mensonges. Elle décida de tout dire. À sa façon.
Oui, elle avait pensé que Simon serait venu ce premier jour. Oui, elle s’était rendue compte que ce n’était pas lui, mais Mathias. Oui, elle avait maintenu la relation parce que ce n’était pas le mari qu’elle côtoyait tous les jours.

« Si tu savais, Sarah, c’était comme un autre homme dans le même corps.
Un amant exceptionnel, formidable, attentionné, sensuel, expert en la matière. Il se transcendait parce qu’il était amoureux… De toi, je le sais, mais c’était moi qu’il baisait, avec une fougue, une force et une tendresse à la fois. C’était exquis, je n’ai pu m’en passer après, égoïstement… Tu m’connais, c’est comme avec le chocolat…
– Tais-toi ! … Tu m’écœures !
– Non, Sarah, il s’agit de cul oui, mais d’amour aussi.
Celui qu’il te portait comme celui que je pensais avoir pour Simon.
C’est l’amour qui a créé l’étincelle, le reste s’est consumé à petits feux, une fois par semaine, dans cette chambre d’hôtel, on était heureux…
– …
– Jusqu’à ce que ses sentiments découvrent la tromperie. Argh ! …
Pourquoi un homme ne peut-il pas aimer juste avec son cœur et ses sens plutôt qu’avec sa tête et ses obsessions ? »

Sarah était partagée entre le dégoût que lui suscitaient les propos de sa sœur et l’admiration qu’elle lui vouait.

«  Pardonne-moi, dit-elle, c’est toi qui as raison. J’crois au fond que j’t’envie.
– De quoi ? … j’ai tout perdu !
– D’être toi, d’avoir vécu tout ça… j’en suis si éloignée… »

Les deux sœurs s’étreignirent, quand les enfants surgirent de nulle part.

« On veut goûter ! … On veut goûter ! »

Le soir même Marie eut une idée, aussi simple que géniale.

« Et si on récupérait nos maris en leur offrant ce qu’ils veulent ?
– Quoi ?
– Les sœurs de leurs femmes ! »

Simon voulait Marie qui désirait Mathias.
Mathias désirait Sarah qui ne voulait que Simon.

«  Tu veux dire que je me fasse passer pour toi et toi pour moi ?
– Tu vois, quand tu veux, tu comprends vite, sœurette.
– Quel plan as-tu derrière la tête ?
– Il faut parvenir à les garder dans une relation secrète aussi longtemps que l’on pourra car une fois satisfaits, leur instinct mâle les poussera à nous séquestrer dans une relation conjugale normale.
– Et alors, ça ne me gênerait pas…
– Toi, peut-être, mais lui ne te le pardonnera pas dès que les enfants lui auront révélé que tu n’es pas moi.
– Tu as raison, que je suis bête ! Comment faire alors ?
– Comme font les hommes avec leurs maîtresses. Tu promets, un jour, bientôt, mais pour l’instant c’est trop douloureux, vous ne pouvez pas faire ça à ta sœur, son ex-femme ! elle ne s’en remettrait pas. Joue sur la culpabilité ! Ils tiennent des années comme ça…

On n’est pas plus connes qu’eux !

– C’est diabolique !
– Peut-être, mais ce n’est pas nous qui avons inventé ce jeu.
Demain, j’ai rendez-vous avec Simon. Vas-y, toi ! … et joue mon rôle à fond !
– Mais… je ne suis pas sûr de pouvoir.
– Fais un effort. Dévergonde-toi ! C’est le moment ou jamais.
Tu verras, tu redécouvriras ton homme…
Et tu auras l’occasion d’être comme tu m’enviais tout à l’heure.
– Et toi ?
– Je resterai là, après que tu auras envoyé un sms à Mathias, comme quoi tu l’attends, tu voudrais lui parler, t’excuser même, pourquoi pas ?
Je m’occupe du reste.
– Tu es folle, Marie… génialement folle !
– Tu te souviens du petit Quentin en quatrième B ?
– Oui…
– Ça a marché ou ça n’a pas marché ?
– Oh oui ! »

Quentin, son premier baiser, si elle s’en souvenait !

Marie avait toujours été le fil conducteur de la vie amoureuse de Sarah, depuis l’enfance, comme la grande sœur qu’elle était, avec ses quelques minutes d’avance.
N’était-ce pas elle qui l’avait présentée à Simon ?
Ce soir-là, Sarah admirait plus encore sa sœur.
Elle lui sauta au cou et l’étreignit si fort que Marie crut étouffer.

« Je t’aime je t’aime je t’aime !
– Hé ho ! doucement sœurette ! … gardes-en pour ton homme ! »

La vie reprit son cours,
le plus extra-conjugalement du monde.
Les enfants en gardes alternées,
les amants en rendez-vous planifiés.
Chez Simon, chaque mardi soir, pour la fausse Marie ;
À l’hôtel des Coquelicots, pour le sosie de Sarah,
le mercredi après-midi ;
Mais plus jamais l’hôtel Émile !
Quelques week-ends aussi, parfois prolongés,
à Florence, Barcelone,
Amsterdam, New York et Lisbonne.

Elles éprouvaient leurs amours autant que leurs amants, attentionnés, sensuels, experts en la matière, dans les chambres d’hôtels, les wagons couchettes, les plages désertes, les cabines d’essayage ou de téléphérique.

Deux ans de bonheur durant lesquels leurs maris leur étaient dévoués corps et âme.
À chaque fois, de retour à Jouy-en-Josas, elles se racontaient leurs voyages et leurs ébats. Elles en riaient, se testaient, se lançaient même des défis. Tout aurait pu continuer aussi parfaitement que la ressemblance de leurs traits, aussi implacablement que deux et deux font quatre. Seulement un jour…

***

Depuis leur sortie de l’hôtel des Coquelicots, Marie et Mathias ne parvenaient plus à se séparer, se bécotant sans cesse. Ils marchaient, enlacés sur le parvis de Notre-Dame, tels des amants de Doisneau. Le ciel de Paris était d’un bleu pur magnifique. Rien n’aurait pu gâcher cet instant, à part peut-être une météorite.

« Mamaaaan ! Papaaa ! »

Un fragment de voix claire et stridente venait d’embraser l’air.
En une fraction de seconde le monde sembla s’écrouler sous leurs pieds.
Comment Marie aurait-elle pu deviner que la sortie scolaire de leur fille Lana passerait par ce parvis, à cet instant-ci ? Mathias lâcha aussitôt la taille de Sarah, voyant Lana courir dans leur direction. Comme trois ans auparavant, le père s’apprêtait à expliquer la situation à sa fille, mais celle-ci le devança, se jetant dans les bras de Marie.

« Mamaaan ! C’est vrai alors, vous allez vous remettre ensemble ? »

Elle avait dit « maman ».


FIN

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Marie et femme (suite)

Petite fable de moeurs contemporaine… en six épisodes


reprendre au début >>                                                                                     3ème épisode…

.

Au bout de quelques mois, Marie parvint à dissocier les deux hommes en Mathias.

Physiquement. Comme un troisième jumeau des frères Gaspard. Et comme il la prenait pour sa sœur, elle n’avait plus aucune honte, plus aucun tabou sur le plan sexuel. C’était l’extase totale. Suffisamment pour rendre fou un homme.

Et ce qui devait arriver arriva.

« Je veux quitter Marie pour vivre avec toi ! »

Marie était sur le cul. C’était le cas de le dire, la tête posée sur le postérieur de son amant de mari, renfilant la culotte de dentelle qu’elle venait de s’offrir pour l’occasion tandis que Mathias, allongé sur le côté et lui tournant le dos, se rongeait les sangs des pensées qui le submergeaient. Marie bondit hors du lit, finissant de remonter le bas de ses dessous.

« Tu n’es pas sérieux, Mathias ! Passe-moi mon soutien-gorge sur la table ! »

Cette voix, ce ton sec, c’était incroyable.
Comme si Marie venait de se glisser dans le corps de Sarah.
Elles se ressemblaient comme deux gouttes d’eau, certes… Mais là !
Il aurait juré que c’était elle. Marie s’en rendit compte et se ressaisit aussitôt.
Elle changea de ton et de petit nom pour son Roméo.

« Mon amour, c’est si soudain…
Oh, comme j’aimerais aussi pouvoir être avec toi chaque jour,
jusqu’au petit matin. Ce n’est pas si simple ! »

Puis elle l’embrassa dans le cou tout en étendant son bras pour attraper son haut de dessous pendu sur la lampe de chevet. Mathias fut rassuré. Il prit Sarah, qui n’était pas Sarah, dans ses bras, pensant à Marie à qui il croyait faire du mal alors que celle-ci, dans les bras de son amant, tentait d’oublier que cet homme qui lui faisait tant de bien n’était autre que son mari.

Les jours suivants, Mathias avait du mal à regarder Marie en face. Si elle n’avait pas été complice de son secret, elle l’aurait aussitôt soupçonné de la tromper avec une autre.
Ils ne faisaient plus l’amour en dehors de leur liaison adultère.
Mathias n’était pas tranquille, il ne supportait plus d’être à la maison.
Il appelait Sarah sur son portable, lui envoyait des sms et des mails alors qu’elle le lui avait formellement interdit à l’hôtel. Il ne supportait pas qu’elle ne lui réponde pas.
Marie voyait bien que la situation ne pouvait plus durer ainsi, son mari allait péter les plombs et lui annoncer l’absurde. Mais que faire ?

Elle risquait peut-être bien de perdre les deux.

Arrivèrent alors les grandes vacances.
Une semaine dans la maison de campagne des Gaspard, un manoir du dix-neuvième à Veules-les-Roses en Haute-Normandie. Tous ensemble.
Mathias avait insisté pour maintenir cette semaine commune avec sa belle-sœur.
Marie ne put faire autrement, les enfants réclamant à cœur et à cris leurs cousins.
Les premiers jours, Sarah fuyait Mathias qui continuait de la harceler.

« Pourquoi m’évites-tu ?
– Je te l’ai déjà dit, Mathias !
– Je ne te comprends pas. Tu es si différente à l’hôtel.
– C’est moi qui ne te comprends pas.
Cesse s’il te plaît avec ce délire d’hôtel, une bonne fois pour toutes !
Ou je dis tout à Simon… et à Marie !
– On dirait que tu joues avec moi, là…
Ou je ne sais pas, peut-être tu n’assumes pas.
– Stop, Mathias ! … Je regrette de t’avoir émoustillé. Je n’aurais pas dû.
Mais j’ai toujours été claire. J’aime Simon et je n’ai pas l’intention de le tromper. Alors, laisse-moi tranquille s’il te plait !
– Tu appelles ça, m’émoustiller ??? Mais…
– STOP ! »

La situation se compliquait. Marie tentait de l’ignorer. Elle s’occupait des enfants, des courses et des repas, attendant patiemment que la semaine et les vacances arrivent à leurs termes, qu’elle retrouve enfin une vie extra-conjugale normale.

Quand le jeudi matin, des circonstances inattendues allaient chambouler leur train-train quotidien. Marie avait prévu d’aller au marché. Lorsque Mathias se leva, il la vit par la fenêtre discuter avec Simon qui revenait de son footing. Il les observa et comprit que son frère se proposait de l’accompagner. Ce dernier affectionnait ces lieux de brassage de braves gens et de bons verbes d’où il puisait ses brèves de marché qu’il notait dans un carnet. Ils empruntèrent à pied le chemin qui menait au village et disparurent au loin. Mathias sauta aussitôt de son lit, une idée en tête. Il passa devant la chambre de Sarah en foutoir, mais vide. Elle était donc levée. En passant devant la salle de bains, il s’aperçut que la porte était entrouverte. Après un moment d’hésitation il la poussa et reconnut le dos parfait de sa maîtresse. Il avança. Sarah blêmit sans oser bouger. Il l’enlaça par-derrière et l’embrassa dans le cou. Elle frémit avec un léger soupir qui invita l’amant à poursuivre son élan, à sa grande surprise. Elle ne le repoussait plus. Il ne la comprenait décidément pas.

« Ah, les femmes ! » pensa-t-il.

Elle se retourna, elle était nue, plus belle et désirable encore qu’à l’hôtel.

Il la connaissait par cœur.

La suite fut une répétition supplémentaire de leur récital amoureux. Vingt minutes d’ébats torrides qui les laissèrent en sueur sur le tapis de la salle de bains. Quand ils reprirent leurs esprits, enchevêtrés l’un sur l’autre, quelle ne fut pas leur surprise de voir la petite Lana, du haut de ses cinq ans, les yeux écarquillés, tenant son doudou dans une main et suçant son pouce de l’autre. Mathias, le premier gêné devant sa fille, prit une grande serviette et couvrit ce qu’il put des parties impudiques des deux adultes.

« Lana, sors de cette salle de bain, s’il te plaît !
Je … Ce n’est pas… Retourne dans ta chambre !
Je ne t’ai pas autorisée à te lever… »

Mathias afficha son autorité à défaut d’une explication.
Lana baissa la tête et s’approcha de Sarah en se dodelinant avec malice.

« Maman, je peux m’lever, chi’te-plaît ?…
Tu m’as dit que tu m’amèn’ras au ma’ché. »

La mère se leva, embrassa sa fille, enfila un peignoir et conduit la fillette hors du lieu du crime. Elle ferma la porte laissant Mathias seul face à sa stupéfaction.

Elle avait dit « maman ».


4ème épisode…

Toujours leurs enfants les avaient reconnus au premier coup d’œil, sans se tromper.

Sarah ne pouvait donc pas être Sarah.

Mathias venait de réaliser l’énormité de ce qui lui arrivait.
Les deux jours suivants, il n’adressa plus la parole à Marie tandis que Sarah et Simon roucoulaient tels des inséparables (les oiseaux), perchés sur leur fidélité.
Quand le dernier soir, dans la chambre du couple libertin, l’orage finit par éclater :

« Tu m’as trompé ! »

Le réquisitoire était absurde, en effet.
Mais Mathias n’en démordait pas. Si sa femme était devenue sa maîtresse c’était parce qu’au départ elle pensait retrouver son frère. La réciprocité de cet argument irréfutable ne le préoccupa guère. Une hypocrisie typiquement masculine. Tout comme le constat d’une réalité qui disculpait tout le monde ne lui suffisait pas.

« Mais puisque c’était moi ! »

C’était là le vrai problème de Mathias. C’était elle et pas Sarah.
Elle incarnait son propre échec amoureux, une usurpation sentimentale. Il la haïssait plus que tout, alors que jusque-là il lui reconnaissait avec compassion les rôles d’épouse et de mère parfaites. Il préférait vivre seul qu’à côté de cette double traîtresse.

« Je veux divorcer. Et le plus tôt sera le mieux. »

Il était décidé, Marie défaite.
Elle n’avait pas d’autre choix que de répondre favorablement à sa requête.
Quand ils rentrèrent à Jouy-en-Josas, elle demanda quelques jours de réflexion.
Deux semaines plus tard, elle posa ses conditions.

« C’est moi qui en fait la demande… Pour adultère, sinon je ne signe pas !
– Pourquoi ? s’étonna Mathias.
– Pour mon honneur de mère et d’épouse. Après tout, je ne t’ai pas trompé.
– Mais moi non plus !
– Alors ne divorçons pas.
– Je ne peux plus vivre à côté de toi, après ça !
– C’est à prendre ou à laisser. Tu acceptes ou je ne signe pas ! »

Mathias accepta et les papiers administratifs furent remplis en quelques heures.
Marie décida d’annoncer elle-même la nouvelle à sa sœur.

« Mais avec qui ?
– Je ne sais pas et je ne veux pas le savoir !
répondit la fausse femme trompée, en pleurs.
– Je le trouvais bizarre aussi ces derniers temps.
– Comment ça ?
– Enfin… Je ne sais pas si je devrais te le dire, mais…
– Quoi ? insista Marie, feignant de ne pas savoir.
– Il m’a fait des avances… Il était plutôt lourd même !
– Ah bon ? … Quelle ordure !
– Mais j’ai refusé, je t’assure.
Il m’a donné rendez-vous une fois à l’hôtel Émile.
Je n’y suis pas allée… Tu me crois, j’espère ?
– L’hôtel Émile ? C’était donc là qu’il l’emmenait… »

Marie pleurait sans forcer car elle était réellement affectée par sa situation.
Sarah était navrée pour sa sœur. Elle en parla aussitôt à Simon.
Celui-ci restait embarrassé. Sans donner raison à son frère, il trouvait l’affliction de sa belle-sœur un peu exagérée après les avances qu’elle lui avait faites.
Seulement il ne pouvait en parler à Sarah sans lui-même se compromettre.
Et ne l’avait-il pas embrassée le premier ?

Un jour qu’il déjeunait avec Mathias, dans son restaurant, il tenta de comprendre ce qui avait poussé son frère à tromper Marie. Mais ce dernier ne pouvait lui avouer la vérité.

« Je ne veux pas en parler, Simon. C’est terminé.
Ce n’était qu’une aventure sans lendemain.
– Je la connais, au moins ?
– …
– …
– Excuse-moi, j’ai ma compta à terminer. »

Mathias laissa son frère sans réponse seul devant son café.
Le silence qui avait suivi sa question intrigua l’écrivain. Et s’il la connaissait ?
Simon se souvenait de l’hôtel Émile, au temps où les deux frères y rabattaient leurs conquêtes de boîtes de nuit qu’ils se partageaient à leur insu. Mathias n’avait alors jamais eu de secret pour lui sur sa vie sentimentale. Il s’y rendit le lendemain par curiosité.
L’hôtel avait bien changé, totalement refait.
Lorsqu’il entra, le réceptionniste le reconnut d’emblée.

« Cela faisait longtemps, monsieur Gaspard !

– Je suis désolé, répondit Simon,
je pense que vous me prenez pour mon frère jumeau.
– Ah ! … Et vous désirez une chambre ?
– En fait, heu… Non… Je… Disons que… Enfin voilà. Mon frère est mourant…
Il est dans le coma !
– Oh !
– Oui, c’est effroyable. Un accident de la route…
– Et… que puis je faire pour vous ?
– Voilà, c’est assez délicat. Je sais qu’il voyait une personne ici en cachette.
Malheureusement je ne la connais pas. Je sais qu’il tenait beaucoup à elle.
Alors si vous aviez quelque information, son nom ou quelque chose…
Hum… Cela… Heu, lui ferait plaisir je crois.
– Je vois. Je ne suis pas du genre à moucharder, mais comme vous êtes son frère tout craché… et dans ces circonstances, je veux bien vous aider.
Malheureusement, je ne connais pas le nom de cette dame.
– Peut-être, pouvez-vous me la décrire ?
– Ah ça oui ! … Mais j’ai mieux.
– Comment ça ?
– Notre caméra de vidéo-surveillance a dû les prendre à l’entrée.
Si vous revenez demain, je me charge de vous passer un extrait.
Avec les dates sur le registre, je devrais vous retrouver ça facilement.
– Je vous remercie infiniment ! »

Simon posa un billet de vingt euros sur le bureau du vieil homme et promit de repasser le lendemain à la même heure. Lorsqu’il s’y présenta à nouveau, il fut estomaqué de voir son frère accompagné d’une femme qui ne pouvait être que Sarah.

C’était donc ça que son frère lui cachait.

« Merci, j’en ai assez vu. »

En rentrant, à pied, Simon se remémorait ce jour où Marie était passée chez lui.
Peut-être se doutait-elle déjà de quelque chose.
C’était pourquoi elle cherchait une consolation. Mais oui !

« Pauvre Marie ! Pauvre con que je suis ! »

Simon avait jugé sa belle-sœur un peu trop vite. Une colère noire le submergea.
Il appela aussitôt un taxi et se rendit au restaurant de son frère, place des Vosges.
Il était onze heures, le premier service se mettait en place.

« Qu’est-ce qui t’amène ? … je croyais que… ».

Mathias n’eut pas le temps de finir sa phrase.
Simon y mit un poing final, en pleine figure.

« T’es qu’un salaud… Une ordure ! »

Mathias bascula en arrière sur le poids de son frère accroché à son col.
Il comprit vite de quoi il en retournait. Il n’eut pas le temps de lui expliquer.
Un second coup l’atteignit derrière l’oreille droite.

« Je ne veux plus te revoir. Tu as brisé mon couple et ma famille ! »

Simon quitta les lieux sans un autre mot, sous les yeux médusés du personnel.
Il était prêt maintenant à affronter les mensonges de son épouse, présumée coupable.

« Je sais tout !

Je suis allé à l’hôtel Émile.
Oui, je t’y ai vue sur la vidéo surveillance…
avec Mathias, bras dessus bras dessous !
Comment as-tu pu me faire ça ?
Tous ces mensonges, cette hypocrisie, à la maison, en Normandie !
Tais-toi ! Je ne veux pas t’entendre, j’en ai assez vu.
Tu n’as pas honte ? Sous mes yeux, ceux des enfants… Devant Dieu !
Et ta sœur ? As-tu si peu de considération pour elle ?
As-tu seulement de la dignité pour toi-même ?
Vous me dégoûtez, toi et mon frère ! »

Chaque phrase était comme un uppercut dans l’estomac de Sarah qui lui remontait en sanglots au fond de la gorge, étouffant chaque syllabe qu’elle tentait de prononcer.

« Comment pouvais-tu te regarder dans la glace chaque matin ?
Comment pouvais-tu m’embrasser chaque soir et me laisser te faire l’amour après vos ignominies à l’hôtel ?
– Je te juuure ! … »

Ces trois mots s’extirpèrent du cœur de Sarah comme des éclats de cristaux de leur amour qu’il venait de briser en petits morceaux. Trois mots qui hurlaient à l’injustice et clamaient une innocence évidente que Simon ne voulait pas voir. Elle aurait voulu qu’il voie, justement, dans ses yeux sa sincérité, qu’il la prenne dans ses bras et la rassure, qu’il comprenne son erreur et cherche à recoller les morceaux.

Seulement un homme jaloux se nourrit d’images qu’ils s’inventent,
dans un mauvais film qui tourne en boucle dans sa tête.

« Demain, nous irons à l’hôtel, et tu verras par toi-même ! » dit-il, claquant la porte d’entrée derrière lui avant de disparaître dans les rues de Paris le reste de la journée.


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