Un peu court…

Mathilde se remarie !                                 Épisode 15  / 15

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Mariée 23Mathilde, 29 ans, mariée, fidèle, rêve toujours de prince charmant, de robe de princesse, nostalgique du plus beau jour de sa vie, dix ans déjà !
Sandrine, meilleure amie de Mathilde, 33 ans, l’âge du Christ, mais rien à foutre, pas croyante, le mariage, très peu pour elle, célibataire, hédoniste de nature, aime faire la fête, danser, boire un p’tit coup, ou deux, et transgresser les codes dès qu’elle peut.
Catherine, Cathy pour les intimes, collègue de Mathilde, 38 ans et toujours célibataire, à fond sur Meetic, rêve de mariage en grand avec une robe blanche, elle y croit !
Lætitia, chef de Mathilde, 45 ans, divorcée, deux enfants, terminé pour elle les mecs qui ne s’assument pas et jouer leur mère au foyer, elle veut voyager et s’éclater, profiter de la vie, quoi !
Joëlle, mère de Mathilde, 57 ans, veuve depuis cinq ans, elle a fait son deuil, mais les hommes, le mariage, c’est de l’histoire ancienne.

— Mais je vous jure, je ne suis pas folle… C’est moi qui l’ai tué !

Le commissaire vénitien se lisse la moustache entre le pouce et l’index, dubitatif. Il observe attentivement Mathilde, dans un état d’hystérie évident de la femme trompée, prête à tout pour nier la réalité. Elle est dans un état vestimentaire aussi lamentable, ce qui augure une nuit de déchéance poussée à l’extrême. Elle a sans doute tenté de mettre fin à cette humiliation en se jetant dans le canal. En vain, elle cherche désormais à tuer le mari en s’inventant cette histoire sordide. Classique.

— Vous avez des origines italiennes ? demande soudain le commissaire à Mathilde, dans un français assez clair malgré un fort accent.
— Oui, s’empresse de répondre Joëlle. Du côté de son père… Je suis sa mère.

Le jeune officier, d’une quarantaine d’années, sourit à la maman, arguant sa perspicacité. Il n’a pas étudié la psychologie féminine mais il connaît bien les femmes de son pays. Et cette Mathilde lui semble en avoir tous les traits de caractère. Sandrine et Joëlle lui sourient à leur tour, elle n’en mènent pas large. Pourvu qu’il croie en leur version !

— Reprenons calmement, recommence le commissaire à interroger l’auto-accusatrice. Vous avez tué votre mari, à Paris. Vous l’avez enterré en Suisse puis vous êtes venue à Venezia  voir si des fois il y était avec sa maîtresse, c’est ça ?
— Mais la Suisse et Venise, c’était une idée de Lætitia !
— Oui, Lætitia… Celle qui est rentrée à Paris avec l’autre femme qui jouait la maîtresse.  Ingénieux ! lâche l’agent, l’air moqueur, avant de contre-attaquer. Sauf que le brigadier Bolotelli, ici présent, et qui revient de l’Hôtel Barbarigo, vient de confirmer que Monsieur Teixier, votre mari, a été identifié, photo à l’appui, en compagnie d’une dame, et c’est regrettable, malheureusement non enregistrée. Le réceptionniste est formel, ils sont repartis bras dessus bras dessous hier matin, avant de disparaître. Et de plus, sa carte Visa vient d’être authentifiée à l’instant par votre banque.
— Mais c’était pas lui à l’hôtel !
— Alors qui ? Un sosie ?

Mathilde se tourne vers Sandrine, sans oser la dénoncer. Le regard de son amie semble lui demander : « Tu veux m’envoyer en prison ? »

— Je ne sais pas, je ne sais plus ! s’exclame l’interrogée, prête à pleurer.
— Madame Teixier, s’il vous plaît, reprend le commissaire, soyez raisonnable. J’aime beaucoup la France, et vous êtes la preuve vivante des beautés qu’elle cultive, dit-il, lissant à nouveau sa moustache, agrémentée d’une petite moue. Oh, bellissima ! J’y ai moi-même vécu avec mon père durant mon enfance, dans le sud, à Toulon, continue-t-il sur un ton théâtral. Ah, la culture ! Votre patrimoine n’a rien à envier au nôtre et, croyez-moi, la Roma se sent toute petite à côté de la grandiosa Parisis. Mais, excusez ma franchise un peu crue, conclut-il, en reprenant une diction normale…

Ici, in Italia, les histoires de cul sont légions.

Comprenez-moi… Une femme qui suit son mari et qui découvre sa liaison dans un hôtel, c’est le sport national féminin chez nous. Quand elles ne jurent pas qu’elles vont le tuer, elles croient, comme vous, l’avoir déjà fait tellement la nuit elles sont dévastées par un sentiment de colère et de vengeance.

— Mais… Mais moi je l’ai tué, dit Mathilde à voix basse, prête à abdiquer.
— Et combien même, Madame Teixier ! poursuit le commissaire qui l’a bien entendue. Admettons que vous l’ayez tué en France et enterré en Suisse, ce n’est pas mon affaire. C’est celle des autorités françaises et suisses. Allez donc les voir et dites-leur où se trouve le corps. Basta !
— Mais… je ne sais pas… je dormais, répond Mathilde, se tournant vers Joëlle et Sandrine. Elles savent, elles !

Sandrine prend un air sincère d’étonnement autant que de désolation devant l’état de détresse de son amie. Quand Joëlle regarde droit devant, masquant toute expression et renforçant l’idée que sa fille ne sait plus ce qu’elle dit.

— Écoutez, c’est un peu court, jeune femme !

L’officier de police se dirige vers la porte invitant gentiment ces dames à la prendre.

— Il est deux heures de l’après midi, et le week-end a été mouvementé avec le clan Siccelli. J’ai de véritables affaires à élucider, avec de vrais cadavres qui remontent du Grand Canal. Alors, je vous promets, si votre mari refait surface, d’une manière ou d’une autre, je vous appelle en personne. Mais en attendant, retournez chez vous, il est sans doute déjà sur le chemin du retour, des alibis plein les poches. Ciao, au revoir mesdames !

Mathilde fond en larmes sur le trottoir. Sandrine n’a qu’une envie : lui en coller une. Comment elle a pu leur faire ça ? Mais Joëlle la devance et prend sa fille dans ses bras.

— C’est fini, ma chérie, c’est fini. On va rentrer.

Mathilde écarte brusquement sa mère et la menace.

— Oh, non, c’est pas fini ! Oh, non ! Vous ne vous en sortirez pas cette fois, Lætitia et toi. On va rentrer, oui ! mais une fois là-bas, j’irai…

Un bruit sourd. Sandrine s’est intercalée entre Joëlle et sa fille qui n’ont rien vu venir. Mathilde est parterre, complètement sonnée. Sa mère, debout, est choquée.

— Sandrine ! Qu’est-ce que tu as fait ?

— Ça s’appelle un coup de boule. J’ai appris ça avec Enzo au lycée.
Ça fait deux jours que ça me démangeait. Putain, ça fait du bien !
Tu ne l’as pas volé, Poussin !

Mathilde passe sa main sur le front, un petit œuf se forme soudain. La douleur est vive. Elle regarde Sandrine avec stupeur. Elle a envie de hurler mais se retient, comme une appréhension.

— Tu vas nous emmerder encore longtemps ou tu comptes redevenir une adulte responsable ? lui lance son agresseur, avec un air et les mots de Lætitia.
— Pardon, murmure Mathilde, consciente du risque encouru pour sa mère et ses amies. Pardon !

Joëlle aide sa fille à se relever, constatant l’énorme hématome derrière sa frange.

— Aïe ! se plaint la victime. S’il te plaît, ne le touche pas. Ça pique !
— C’est moche. Viens, on va trouver une pharmacie. Un coup de boule, mon dieu… Sandrine, t’y es allée un peu fort !
— C’est pas moi qui ai commencé, hein, Poussin ?
— Arrê… teu ! réplique Mathilde, du tac au tac.
— Ah! ça y est. On l’a retrouvée, notre Mathilde ! se réjouit Sandrine en se jetant dans ses bras.
— Aï…euuuuh !
— Pardon, Poussin ! … Han ! j’ai la dalle. On se fait des vrais pastas ce soir avant de prendre le train de nuit ? … Allez quoi !

Mathilde hausse les épaules, Joëlle ne dit pas non.

— J’en connais un génial, enchaîne aussitôt Sandrine. Oh, putain j’ai la dalle  !

Puis en deux temps trois mouvements, elle expire un ultime soulagement.

— Allo, Lætitia ? …

Tu peux défaire ta valise, on ne va plus en prison !


FIN

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Seules

Mathilde se remarie !                                 Épisode 14  / 15

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Mathilde, 29 ans, mariée, fidèle, rêve toujours de prince charmant, de robe de princesse, nostalgique du plus beau jour de sa vie, dix ans déjà !
Sandrine, meilleure amie de Mathilde, 33 ans, l’âge du Christ, mais rien à foutre, pas croyante, le mariage, très peu pour elle, célibataire, hédoniste de nature, aime faire la fête, danser, boire un p’tit coup, ou deux, et transgresser les codes dès qu’elle peut.
Catherine, Cathy pour les intimes, collègue de Mathilde, 38 ans et toujours célibataire, à fond sur Meetic, rêve de mariage en grand avec une robe blanche, elle y croit !
Lætitia, chef de Mathilde, 45 ans, divorcée, deux enfants, terminé pour elle les mecs qui ne s’assument pas et jouer leur mère au foyer, elle veut voyager et s’éclater, profiter de la vie, quoi !
Joëlle, mère de Mathilde, 57 ans, veuve depuis cinq ans, elle a fait son deuil, mais les hommes, le mariage, c’est de l’histoire ancienne.

— Catherine, bonjour ! … Ah ! Monsieur Régnard…

Oui… Oui, j’ai passé un bon week-end (elle bâille bruyamment) … Excusez-moi, il était aussi très fatigant… Non, Monsieur Régnard, ce n’était pas un week-end en amoureux. Oui, d’accord… Qu’est-ce qui vous arrive ? … Désolée, je n’étais pas là ce matin et Lætitia ne devrait pas tarder…  Heu, Mathilde ? Elle ne sera pas là cette semaine… Des soucis personnels, rien de grave. Enfin, si ! … Enfin, non ! Je vais regarder votre problème d’…

Un téléphone portable entonne la musique de l’Harlem Shake. Cathy plonge sa main libre, dans son sac à mains, posé à ses pieds.

— Heu, excusez-moi, monsieur Régnard, dit-elle tout en fouillant à l’aveugle, mais… rho ! T’es où toi ? … Non, il n’y a pas de danse, je vous rassure, c’est juste mon tél… Ah! le voilà ! Allo ? … Régis ? … Attends deux secondes ! … Monsieur Régnard, j’ai une urgence sur une autre ligne, je vous rappelle tout de suite sans faute.

Elle raccroche aussitôt.

— Ah ! Régis, il faut que je t’explique… Allo ? … Allo, tu m’entends ? … T’es où ? … Hein ? … T’es dans les toilettes ? … Ah bon ? … Ça capte mal ? … Tu n’veux pas parler plus fort ? Parce que là je t’entends à peine. Je te rappelle sur ton fixe. Hein ? … OK OK, reste là ! … Hein, quoi ? … … Mais faut pas mal le prendre, Chouchou ! C’est un malentendu pour ce week-end, je t’assure. Bon, d’accord, j’étais à Venise mais c’est pas du tout ce que tu crois. Oui, je sais qu’on devait aller chez Ikea, mais là, c’était une question de vie ou de… Enfin, je ne peux rien te dire… … Mais non je ne te cache rien. Enfin, si. Mais ça n’a rien à voir avec toi… Mais ni avec un autre ! Pourquoi faut que tu compliques tout ? … Je ne peux rien te dire… Je te jure sur la tête de Kiwi qu’il n’y a pas d’autre homme… On n’était qu’entre filles. Oh ! et va pas… oh !  Des fois y en a qui en sont, j’en connais… mais pas moi ! Hein ? … Ben, je disais ça comme ça… On a juste simulé avec Sandrine, j’te jure… Je ne peux pas te dire… J’te jure ! … Sur la tête de Kiwi… S’il te plaît, crois-moi, ne gâche pas… Allo ? Régis ! … Han ! … Jésus Marie… J’ai juré sur… Allo ? … Régis ? … Allo ? … la tête de Kiwi…

Lætitia débarque dans l’open space, elle voit son amie abattue sur sa chaise, quand les autres filles de l’équipe baissent la tête, comme si de rien.

— Qu’est-ce qui se passe ?

— Régis n’veut plus se marier… Bouh !

… Il dit que pour ne pas être allée chez Ikea c’est qu’il y avait forcément un autre homme. Et moi comme une conne j’ai rien trouvé de mieux que de lui parler de vos trucs-là.
—  Quels trucs ? commence à craindre le pire la chef.
— Maintenant il croit que je suis comme vouuus ! Bouuuh !
— Qu’est-ce que t’es allée lui raconter encore ? chuchote-t-elle pour ne pas attirer l’attention de leurs collègues, une oreille au téléphone et sans doute l’autre qui traîne. Allons dans mon bureau, ajoute-t-elle, prenant les devant.
— J’en ai marre des hommes ! Ils ont tous quelque chose qui ne colle pas, se plaint Cathy en la suivant.
— Ce n’est pas faute de t’avoir prévenue, lâche Lætitia après avoir fermé sa porte.
— Un coup, c’est le dentiste qui veut plus quitter sa femme, un coup c’est l’étudiant qui ne revient pas d’Australie, un coup c’est le skipper qui préfère la mer, quand c’est pas la mère qui préfère qu’on se quitte. J’en peux plus !

Cathy s’écroule littéralement sur la première chaise qu’elle trouve.

— Ça en fait des coups dis-moi ! plaisante Lætitia. Y en a qui restent sur le même coup toute une vie avant de se rendre compte que ce n’était pas le bon. Toi, au moins, tu n’as pas ce problème… Haha !
— Bouh ! Mais moi je veux fonder une famille ! continue de s’apitoyer sur son sort l’éternelle célibataire. Je suis fatiguée !
— Je comprends, rétorque sa responsable. Moi aussi. Je viens de dormir huit heures d’affilée et je n’arrête pas de bâiller.

Les deux filles sont sur les nerfs de n’avoir pratiquement pas dormi du week-end, surtout Lætitia qui a assuré seule le retour cette nuit au volant de son 4×4.

Tandis que Sandrine et Joëlle sont restées à Venise pour retrouver Mathilde.

— C’est trop compliqué les mecs, confie Cathy à sa responsable dans un élan de désespoir. Finalement c’est vous qui avez raison.
— Mais de quoi tu parles ?
— On va toutes finir gousses… Tu veux bien m’apprendre, dis ?
— Mais ça
ne s’apprend pas, enfin! Cathy, cesse tes lubies !
— Ah bon, c’est dans les gènes, tu crois ?
— Ne te fais pas plus bête que tu n’es, la recadre Lætitia. Il s’agit de sentiments, c’est tout. Moi j’ai aimé un homme et une femme profondément dans ma vie.
— T’es bi alors ?
— Mais tu ne t’arrêtes jamais, toi ! Je suis rien du tout, s’emballe l’interrogée. Je suis moi et j’aime qui je veux. Qu’est-ce que c’est que ces cases à la con !

Lætitia entrouvre la fenêtre et allume une cigarette, faisant fi du règlement intérieur. Cathy poursuit ses lamentations.

— Au final, tu vois, on se retrouve toutes sans mec…

ou sans… Heu, enfin tu vois ce que je veux dire. C’est Sandrine qui doit bien se marrer, tiens ! … Y a pas un bonhomme pour rattraper l’autre !
— Je te rassure, il y en a des bien, l’interrompt l’expérimentée derrière un halo de fumée. Des très bien même !
— Ils sont tous pris, tu parles, pouffe Cathy dégoûtée.
— Ou bien ils ne se laissent pas prendre.
— T’en as connu un, toi ?
— Ah ! s’exclame Lætitia, perdue dans ses volutes, c’est une vieille histoire. Il était parfait. Moi pas, faut croire. J’avais besoin de danger, de mains de jardinier, d’explorations d’aventuriers.
— Et alors ?
— Alors, j’ai épousé des mains de jardinier qui étaient surtout expertes en comptabilité. Mon Louis. J’ai eu deux gosses avec lui et un début de déprime.
— Tu regrettes ?
— Non. À quoi bon ? sourit la femme divorcée. J’aurais pas su faire autrement. J’aime mes enfants, même si leur ressemblance avec le père me sort par les yeux. Ah! il ne les a pas ratés le salaud. Non, je ne regrette pas. J’ai fini par me chercher et j’ai trouvé Joëlle, un beau jour, chez Mathilde.

C’était un mal pour un bien. On n’échappe pas à son destin.

— Ah, bon, tu crois au destin, toi aussi ? s’étonne Cathy.
— Je ne sais pas, mais ce qui est sûr c’est que si j’étais restée mariée à l’époque, aujourd’hui je pèterais les plombs.
— Et tu l’as revu ?
— Qui, mon ex-mari ?
— Non, l’autre… Le parfait !
— Oui, une fois par hasard, aux Galeries Lafayette. Il y a très longtemps, j’étais enceinte du deuxième.
— Et alors ?
— Il était accompagné d’une femme plus âgée que moi, la trentaine bien passée, plus belle aussi, parfaite quoi ! Ils se tenaient par la taille. Ils jouaient et riaient comme des gosses… Ça m’a fait un choc.
— Pourquoi ?
— Parce que j’avais perdu tout ça. J’avais tout ce que je désirais à la place, la maison, la voiture, les bijoux, les voyages, mais y avait déjà plus rien au fond de moi. À vingt-huit ans.
— T’as fait quoi ensuite ?
— Le bonheur des Galeries à défaut de celui d’un homme.

Tu vois, y a pas qu’eux qui passent à côté de l’essentiel.

Cathy est désolée pour son amie qu’elle sent touchée depuis la dispute à Venise.

— Tu as des nouvelles de Joëlle ? Tu crois qu’elle t’en veux encore ?
— Je ne sais pas. Sans doute, d’après Sandrine, lâche Lætitia, en écrasant sa cigarette sur le rebord de la fenêtre.
— Elle t’a appelée ?

— Oui… Elles ont retrouvé Mathilde.


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Les bras m’en tombent !

Mathilde se remarie !                                 Épisode 13  / 15

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Mathilde, 29 ans, mariée, fidèle, rêve toujours de prince charmant, de robe de princesse, nostalgique du plus beau jour de sa vie, dix ans déjà !
Sandrine, meilleure amie de Mathilde, 33 ans, l’âge du Christ, mais rien à foutre, pas croyante, le mariage, très peu pour elle, célibataire, hédoniste de nature, aime faire la fête, danser, boire un p’tit coup, ou deux, et transgresser les codes dès qu’elle peut.
Catherine, Cathy pour les intimes, collègue de Mathilde, 38 ans et toujours célibataire, à fond sur Meetic, rêve de mariage en grand avec une robe blanche, elle y croit !
Lætitia, chef de Mathilde, 45 ans, divorcée, deux enfants, terminé pour elle les mecs qui ne s’assument pas et jouer leur mère au foyer, elle veut voyager et s’éclater, profiter de la vie, quoi !
Joëlle, mère de Mathilde, 57 ans, veuve depuis cinq ans, elle a fait son deuil, mais les hommes, le mariage, c’est de l’histoire ancienne.

Mathilde s’est enfuie.

— Non, c’est pas vrai !

Sandrine est abasourdie par la nouvelle. Avec Cathy, elles ont rejoint les autres filles à leur hôtel moins cossu, ce matin à 8 heures, comme convenu. Joëlle et Lætitia n’ont quasiment pas dormi, à la recherche toute la nuit de Mathilde, partie sans affaires, ni téléphone.

— Haaan ! sans son iPhone ! … Mais elle est vraiment perdue !

Cathy s’assied sur un bord du lit où Lætitia semble plus abattue qu’en train de dormir. Comment pourrait-elle fermer les yeux sur ce qui s’était passé la veille. Joëlle est encore plus anéantie, inconsolable en mère doublement coupable.

Elle avait tué son père et son idéal de mère parfaite.

Tout est de ma faute !
— Mais non, Joëlle, la réconforte Sandrine en la prenant dans ses bras. Elle va revenir… Elle avait besoin de prendre un peu l’air, c’est tout. Elle va revenir !
Non, je la connais. Elle est comme son père… Dure ! Elle ne me pardonne rien. Ah ! si seulement…

Lætitia se lève, à bout de nerfs, des cernes comme des valises, prêtes à partir… en larmes. Elle se ronge les ongles à défaut de pouvoir fumer depuis des heures.

 T’aurais pas une clope, Sandrine ? J’ai écoulé mes deux paquets cette nuit.
— Sers-toi dans mon sac, il doit m’en rester un paquet plein, je crois.
Merci ! j’en rachèterai tout à l’heure.

Lætitia s’approche de la fenêtre ouverte pour expulser une première bouffée libératrice. Puis elle se tourne vers Joëlle, le regard inquisiteur.

Si seulement quoi ?
Oh, rien, se contente de répondre la maman fatiguée, j’en peux plus de… de tout ça…
De tout ça quoi, bordel ? D’être enfin toi, de vivre pour toi ? Il ne suffisait pas de ton mari, c’est au tour de ta fille de prendre le rôle du bourreau, hein ? … Tu dois aimer ça, c’est pas possible ! s’emporte la femme amoureuse, la voix qui déraille et laissant échapper quelques larmes. Mais, réveille-toi, bon sang, Joëlle ! Merde, quoi ! On a tout fait pour elle. On est là, presque comme des fugitives d’un crime qu’on n’a pas commis. Et c’est à nous de lui rendre des comptes pour des crimes qu’elle veut nous faire endosser ?

Lætitia sèche rapidement des larmes qui n’ont pas eu le temps de couler. Joëlle ne la regarde pas, dans les bras de Sandrine.

J’aurais pu être une autre mère pour elle. Elle ne méritait pas ça.

Elle mérite une mère heureuse, contre-attaque l’avocat de la défense. Si seulement cette mère avait le courage d’assumer ce qu’elle désire et qui elle est, au lieu de simuler ce que les autres veulent qu’elle soit. Elle a bientôt trente ans ta môme ! Et crois-moi, elle a juste besoin d’être secouée et de voir la vie autrement que ce qu’elle lit dans la bible.
Secouée ? s’indigne la victime, hors de ses gonds et des bras de Sandrine. Mais tu as vu comment tu l’as brutalisée ? Même son père ne l’a jamais bousculée comme ça. Ni frappée. Tu m’a déçue, Lætitia. Je ne pensais pas que tu lèverais la main sur elle. C’est à moi aussi que tu fait du mal. Tu te prends pour… heu, je ne sais quoi. Depuis deux jours, on est toutes à tes ordres, sans savoir où cela va nous mener. Tu ne respectes même pas le deuil de ma fille qui vit un drame douloureux, ne t’en déplaise. Et puis… euh, si tu as des pulsions de virilité à démontrer, je te prierais de ne pas utiliser ma fille pour les assouvir.

Cathy est choquée, elle se tourne vers Sandrine, aussi mal à l’aise.

Elle l’a frappée… Haan ! Jésus Marie Joseph !
Tu penses vraiment ce que tu dis ?  lance Lætitia à Joëlle, d’une voix étranglée. Après… tout ce que j’ai fait… Pour toi, pour elle.
Stoooop ! intervient Sandrine qui sent la situation pourrir au fil des minutes. Ça suffit ! Écoutez, vous êtes toutes les deux exténuées et à bout de nerfs. Ça ne rime à rien de continuer à se déchirer de la sorte. Chacune va aller se reposer, une heure ou deux. Toi, dans le grand lit, Lætitia. Et Joëlle dans le petit, là. OK ?

Elles acquiescent sans se regarder. Sandrine a repris les choses en mains.

— Bien. Il s’agit de retrouver Mathilde. Avec Cath’, on va faire le tour de la ville pendant que vous vous calmez et réconciliez. Elle ne doit pas être bien loin. On revient avant midi et on voit ce que l’on fait. OK.

Sandrine commence à retirer le costume de Paul.

Ben, Cathy ? Va te changer, tu ne vas pas sortir avec cette robe !
— Je voudrais bien, mais heu… je n’ai pas d’affaires propres.
Mais moi non plus ! T’as jamais été scout, toi !
Euh, non ! … Toi, si ?
— Bon, une autre fois, dépêche-toi !

Voilà les deux faux amants de la veille à la recherche de Mathilde dans les rues de Venise.

Tu savais toi, pour Joëlle et Lætitia ? ose demander Cathy.
Non, répond Sandrine sans chercher à développer.
Pourtant entre vous, vous…
Entre vous ? Tu veux dire quoi par là ? cherche à comprendre l’interrogée.
Ben, heu… Tu sais bien. Moi, je t’assure, ça ne me gêne pas plus que ça. Enfin… Disons que faire des trucs avec une autre femme. Toi tu l’as déjà fait, non ?
Non mais je rêve ! Tu crois vraiment que je suis gousse ?

Parce que tu ne l’es pas… gousse ? 

Pas encore, ma chérie, mais hier j’étais à deux doigts de changer d’avis… Ha ha !
T’es bête ! lâche Cathy, quand même soulagée. T’as entendu ? ajoute-t-elle, passant du coq à l’âne, Lætitia a frappé Mathilde.
Frapper, frapper… Faudrait voir comment. Je crois que Joëlle a un peu exagéré, non ? Et puis Mathilde l’a un peu cherché depuis deux jours.
— Tu sais, j’ai déjà vu Lætitia pousser des gueulantes au bureau mais je ne la croyais pas capable de violence.
— Bon, et si on essayait plutôt de retrouver Mathilde !
— Oui oui.

 Et je peux te dire que si je la trouve, il se pourrait bien que je lui en colle une à mon tour ! 

Ce serait donc vrai qu’elle frapperait ses enfants, Lætitia ?
Les bras m’en tombent !


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Bas les masques !

Mathilde se remarie !                                 Épisode 12  / 15

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Sandrine, meilleure amie de Mathilde, 33 ans, l’âge du Christ, mais rien à foutre, pas croyante, le mariage, très peu pour elle, célibataire, hédoniste de nature, aime faire la fête, danser, boire un p’tit coup, ou deux, et transgresser les codes dès qu’elle peut.
Catherine, Cathy pour les intimes, collègue de Mathilde, 38 ans et toujours célibataire, à fond sur Meetic, rêve de mariage en grand avec une robe blanche, elle y croit !
Lætitia, chef de Mathilde, 45 ans, divorcée, deux enfants, terminé pour elle les mecs qui ne s’assument pas et jouer leur mère au foyer, elle veut voyager et s’éclater, profiter de la vie, quoi !
Joëlle, mère de Mathilde, 57 ans, veuve depuis cinq ans, elle a fait son deuil, mais les hommes, le mariage, c’est de l’histoire ancienne.

— Elle êst avec môî … euh, è côn mê

Paul racle sa nouvelle voix du fond de sa gorge, planqué derrière des lunettes noires, sous un costume hyper classe dont la valeur pouvait se mesurer à la liasse de billets posée en évidence sur le comptoir de la réception, comme le lui avait fait répéter Lætitia à Milan.

— Si ! Pas de peloblème, mossieu Teixier. Por oune nouit or plous ? demande le réceptionniste, expérimenté en aventures extra-conjugales, qui ne manque pas d’inspecter avec une discrétion bien italienne, à attraper un torticolis, la silhouette délectable de la femme fatale qui l’accompagne.
Ûne, mêrcî ! répond Paul, reprenant sa carte d’identité ainsi que le badge qu’on lui tend.
— Chambre vingte houite, doxième itage, annonce l’hôtelier, tout en ramassant le lot d’espèces, avec une reconnaissance qui se lit sur son visage ébahi. Grazie mille ! Merci !  Bon souarée mossieu Teixier ! ajoute-t-il, bouche béante devant la poitrine exagérément gonflée de Cathy  qui  lui offre du bout des lèvres, aussi rouges que sa robe, une moue à la Marylin dont la sensualité l’invitait à poursuivre le tour du propriétaire.

La consigne est claire. Plus il s’attardera sur les formes, moins il se souviendra des visages.

Et pour bien finir de duper le premier pigeon témoin, la main de Paul accompagne d’une caresse explicite le déhanchement appuyé de Cathy qui sursaute avec un petit cri d’offusquée, cette fois non simulé : « Hé ! »

Le premier acte de la mission semble s’accomplir à la perfection.

Sauf que, pendant ce temps-là, l’ambiance est tendue dans la voiture entre Lætitia, Joëlle et Mathilde. Cette dernière vient de se réveiller après avoir ingéré un somnifère qu’elle avait pris pour du Doliprane à Milan. Seulement, les filles n’avaient pas eu le choix. L’homicide était devenue hystérique, refusant de les suivre pour se dénoncer à la police. Dans le 4×4, après avoir recouvré ses esprits, elle n’en démord toujours pas. Ce qui a le don d’irriter Lætitia, en manque crucial de sommeil, et donc de patience.

— T’es sérieuse ?
— Ne me parle plus ! lance-t-elle, pleine de colère, à la fautrice du trouble qui l’a blessée. T’es… IGNOBL
E ! … Tu me dégoûtes !
Mathilde, je t’en prie ! la reprend Joëlle, autant affectée.
Laissez-moi, je veux sortir ! ordonne la fille, sans jeter un regard vers sa mère. Comment on sort de cette… Ah !

Lætitia ne tient plus. Elle sort la première et ouvre la portière derrière laquelle se trouve l’enfant chérie qui prend soudain peur. La chef extirpe sa collaboratrice et amie du véhicule par le col, comme l’aurait fait un mec avec vigueur, et la plaque contre la voiture, avec une force qu’elle ne se connaissait pas.

— Écoute moi bien, petite fille, on n’est pas venues jusqu’ici pour profiter des canaux vénitiens, ni supporter tes jérémiades sur le pont de tes soupirs…

Ça fait deux jours qu’on ne dort pas pour essayer de te sortir de ta propre merde parce que t’as pas été fichue de te débarrasser de ton sale con de mari autrement qu’en lui flanquant une balle dans le crâne. Pendant ce temps-là, madame ferme les yeux tout le trajet et quand elle les rouvre c’est pour nous faire son carnaval avec son masque de femme en deuil et sa musique casse-couilles.

Mathilde, dont la pointe des pieds touche à peine terre, tente de respirer plus qu’elle ne cherche à répondre. Lætitia n’en a pas terminé avec sa remise en place. 

— On est toutes dans le même bateau, à cause de toi. On ne peut plus reculer. Si tu te dénonces, on tombera aussi pour complicité. Alors je vais te dire une bonne chose, Mathilde, si tu ne le fais pas pour toi, ni même pour ta mère ou moi, fais-le au moins pour tes copines qui jouent gros en ce moment pour te sortir de là.

Mathilde redescend de quelques centimètres sur ses talons avant de tousser pour laisser passer plus d’air. Elle est choquée, perdue aussi. Elle regarde Lætitia, vaguement.

— Pardon…
— Oh!  Mathilde, mon bébé ! s’empresse de l’enlacer sa mère qui était sortie pour la sauver au cas où Lætitia perde aussi les pédales.
Laisse-moi ! lâche la fille, en même temps que de nouveaux sanglots… LAISSEZ-MOI !

Mathilde s’éloigne pour pleurer en paix et ne pas subir de nouvelles remontrances. Joëlle la suit pour tenter de lui parler avec plus d’intimité.

Je suis désolée, Mathilde…
Hanc ! de quoi ? De m’humilier… hanc ! devant tout le monde ?
— Ce n’est
pas ce que j’ai voulu. Je suis désolée que tu le découvres de cette manière.
— Tu parles… hanc ! et ça changerait quoi ? Se bécoter dans le moindre rec… hanc ! coin, t’en as rien à faire de ce que je pense… hanc ! ça me dégoûte !
Tu ne peux pas dire ça. On n’a rien fait de mal. Lætitia a fait beaucoup pour toi depuis vendredi. Elle est exténuée. Elle avait juste besoin…
Aaah ! … Tais-toi ! … TAIS-TOI !
— Souvent, j’ai voulu t’en parler, mais tu étais si loin de tout ça, même hostile parfois.
Quand t’as essayé ?
Il y a cinq ans déjà.
— Quoi ? ça fait cinq
ans que tu me caches ce mensonge, cinq ans que t’es… une autre ! … Mais, tu veux dire que c’était avant que papa… ?
— À la mort de ton père, j’ai voulu te parler, souviens-toi… Je t’ai dit que d’une certaine façon je l’avais tué. Tu ne voulais rien entendre.
— Hein ? Mais tu délirais, t’étais devenue… oh! folle. C’était tellement dur aussi pour toutes les deux ! Ça a été si subit.

Lætitia, assise contre la voiture, ne peut s’empêcher d’intervenir. Elle lance tout haut :

— Ça, pour être subi, c’était subi !

— Qu’est-ce que tu veux dire ? se retourne Mathilde, fronçant les sourcils.
— 
Je n’ai jamais vu une femme qui a autant fait abstraction d’elle-même et subi les pires humiliations pour faire bonne figure devant ses enfants, que ta mère, développe l’intruse.
S’il te plaît, Lætitia, la supplie Joëlle, ça fait trop de choses là.
Non, non ! insiste Mathilde, le cœur battant à cent à l’heure. Vous en avez trop dit là… Je veux tout savoir. Papa était au courant pour vous deux ?
— Oui, acquiesce Joëlle, après une brève hésitation.

Il vous a surpris, c’est ça ? imagine la fille, avec une grimace de dégoût.
Non, réplique la mère, calmement. Je lui ai dit un jour que je le quittais. Vous aviez vos vies désormais, ton frère et toi. Cela faisait des années qu’il n’y avait plus rien entre nous. Je crois qu’il n’y a jamais rien eu vraiment. C’est mon psy qui me l’a fait comprendre. Quoiqu’au début, ton père était adorable. Je l’aimais d’une certaine façon. Je faisais de mon mieux en tout cas. Très vite, il est allé voir ailleurs. Cela me faisait mal. Mais aujourd’hui je sais que ma douleur venait d’ailleurs.
— D’a
illeurs ?
Oui, ce refus en moi d’accepter qui j’étais vraiment. Mon psy et… Lætitia aussi, m’ont beaucoup aidée à franchir le pas. Mais ce jour-là…

Joëlle fond en larmes, les mains sur le visage.

Quoi, maman ?
Pour certains il était hors de lui, l’alcool, il buvait beaucoup, poursuit Lætitia, avec ses mots à elle. Pour moi il a été lui-même dans ce qu’il avait de plus mauvais.
— Qu’est-ce que… Mais de quel droit tu te permets… ?
On a beau essayer se mettre à la place des hommes, on ne comprendra jamais ce qui leur passe parfois par la tête. Ce besoin de dominer, de museler, voire anéantir ce qui leur échappe. La femme, l’amour qu’elle porte, pire encore, sa sensualité, son désir qui ne peuvent exister sans eux. Trois jours ! assène Lætitia, ravalant sa salive. Trois jours qu’il l’a séquestrée, humiliée, dégradée, torturée même, pour se venger de ce qu’il n’avait pas su lui donner et qu’une femme avait osé rallumer dans ses yeux. Juste parce qu’elle aimait, enfin, de ce qu’il y a de plus beau dans l’amour, de plus pur, et qui s’appelle l’évidence !

Mathilde interroge sa mère, n’osant croire ce qu’elle entend.

Maman… Papa n’est pas mort d’une crise cardiaque ?

Le regard de Joëlle semble dire ni oui, ni non, parce que oui, parce que non. Lætitia, elle, ne s’embarrassera pas d’une longue explication.

— Le quatrième jour, son whisky ne contenait pas que du houblon.


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Opération Lolita

Mathilde se remarie !                                 Épisode 11  / 15

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Mathilde, 29 ans, mariée, fidèle, rêve toujours de prince charmant, de robe de princesse, nostalgique du plus beau jour de sa vie, dix ans déjà !
Sandrine, meilleure amie de Mathilde, 33 ans, l’âge du Christ, mais rien à foutre, pas croyante, le mariage, très peu pour elle, célibataire, hédoniste de nature, aime faire la fête, danser, boire un p’tit coup, ou deux, et transgresser les codes dès qu’elle peut.
Catherine, Cathy pour les intimes, collègue de Mathilde, 38 ans et toujours célibataire, à fond sur Meetic, rêve de mariage en grand avec une robe blanche, elle y croit !
Lætitia, chef de Mathilde, 45 ans, divorcée, deux enfants, terminé pour elle les mecs qui ne s’assument pas et jouer leur mère au foyer, elle veut voyager et s’éclater, profiter de la vie, quoi !
Joëlle, mère de Mathilde, 57 ans, veuve depuis cinq ans, elle a fait son deuil, mais les hommes, le mariage, c’est de l’histoire ancienne.

Les bras chargés comme un jour de soldes…

Lætitia et Cathy retrouvent les autres filles dans une chambre d’hôtel luxueuse. Joëlle leur ouvre la porte.

— Les filles se sont endormies, leur chuchote-t-elle.
— Vous avez pu prendre une douche ? demande Lætitia en lâchant tous ses sacs.
— Oui, soupire Joëlle de soulagement. Ça fait du bien.
— Je ne rêve que de ça depuis qu’on a mis enfin les pieds dans cette ville, s’exclame la chef.
— Pareil ! lâche Cathy en même temps que ses courses. Les rues de Milan auront fini de m’achever. Je peux aller la prendre la première ?
— Oui, bien sûr, répond Lætitia. Mais ne traîne pas !
— Promis.

Cathy prend quelques affaires et s’enferme dans la salle de bains. Lætitia tombe dans les bras de Joëlle et craque nerveusement pour la première fois.

— Dans quel pétrin on s’est fourrées. Je ne suis pas sûre qu’on arrive à s’en sortir, Jo.
— On a fait au mieux. Tu as été formidable jusque-là, Lætitia… On compte toutes sur toi. Tu es épuisée, une bonne nuit te fera du bien.
— Oui, sans doute. Il reste encore de la route. Mais une fois à Venise, on pourra se reposer.

À cet instant, Sandrine se relève du grand lit, entendant la conversation des filles.

— Vous êtes revenues ?
— Oui, répond Lætitia, retrouvant son caractère de meneuse. Je nous ai pris des petites tenues pour notre arrivée à Venise. Celle de Cathy est éblouissante.

Notre Paul va en tomber à la renverse.

— Paul ? ne semble pas suivre Sandrine, dans le potage après sa mini sieste.
— Je veux dire celle qui jouera le rôle de Paul, bien sûr.
— Et qui est l’heureuse élue ?
— Et bien, toi, Sandrine. C’est le rôle dont tu as toujours rêvé, non ? Le mari qui trompe sa femme à Venise avec une pétasse à qui il a acheté une robe aux couleurs pétantes à Milan pour se l’’envoyer en l’air à Venise. La classe à la mode masculine, quoi !
— Et pourquoi pas toi ? rétorque l’intéressée. Tu m’as l’air bien plus préparée, avec tes cours de théâtre.
— Sérieusement, Sandrine, tu m’as bien vue, là ? Parmi nous, personne n’est en dessous du bonnet C. Sans vouloir t’offenser…
— Quoi, sans vouloir m’offenser ?
— Écoute ma chérie, appelons un chat un chat. T’as plutôt pas beaucoup de poitrine.
— C’est pas parce que j’ai pas des obus de première guerre mondiale que j’ai pas de poitrine. Faut pas déconner là !

À cet instant, Cathy sort de la salle de bain, les seins enroulés dans une serviette, visiblement pas totalement recouverts.

— Ne te vexes pas, Sandrine, tempère Joëlle. Ce n’est pas le sujet. Tu comprends bien que pour le rôle d’un homme, tu es la mieux placée.
— Des petits seins, c’est bien aussi, s’en mêle Cathy. Je connais un mec…

— Évidemment, si « Bonnet M » reprend le refrain, j’ai plus qu’à chanter du Birkin, moi !

— Oh lala ! Tu ne vas pas nous faire un complexe à trente piges, dédramatise Lætitia.
— OK OK ! C’est bon, j’ai pigé. Il est où le costume du gros con ?
— S’il te plaît, Sandrine, s’offusque Joëlle, un peu de respect, on vient à peine de l’enterrer.
— Tu vas voir comment je vais te mettre, ma petite Cath’, s’amuse le futur acteur, d’une voix grave et courant après sa proie qui en perd sa serviette. Si t’as jamais vu les étoiles, avec moi tu vas faire le tour des galaxies.
— Mais euh ! Arrête Sandrine !

Les deux filles se chamaillent sur le lit. Cathy, complètement nue, n’est pas rassurée après ce que lui a dit Mathilde.

— Arrête, je te dis, je ne trouve pas ça drôle. Laisse-moi m’habiller.
— T’inquiète, j’attendrai mon heure, ma chérie, continue Sandrine de sa voix masculine.
— Bon, je vais prendre un bain, moi, annonce Lætitia, histoire de me relaxer avant de reprendre le volant. On décolle dans une heure… Jo, j’aurais besoin de tes talents de kiné, si tu veux bien, ajoute-t-elle, s’étirant la nuque. Là, je suis complètement nouée.
— Oui, bien sûr, répond Joëlle. Il nous reste combien d’heures de route ?
— Quatre, tout au plus, je dirais. On devrait arriver avant 22 heures. J’espère !

La porte de la salle de bains se ferme. Sandrine étale le costume sur un pan du lit quand Cathy déballe la robe de femme fatale. Sandrine est conquise.

— Wouahou ! Mais vous l’avez dénichée où ?
— Dans une des boutiques les moins chères à Milan ? On l’a eu pour mille euros, et encore, avec la ristourne.
— Hein ? J’espère que Paul n’entend pas sinon il se retournerait dans son terrain vague.

Mathilde sort de la pièce voisine et voit Cathy enfiler une splendide robe, rouge pimpant.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Une robe cocktail, qu’elle a dit la vendeuse.  C’est sobre pour l’Italie.

— Ça fait pas un peu… ?
— Lolita ? Carrément ! J’adore ! s’exclame Sandrine qui s’approche de nouveau avec vigueur et sa voix grave de la belle. Oh ! toi, tu vas me rendre fou, bébé !
— Arrê-teu ! T’es pas drôle !
— Où est ma mère ? J’ai un mal de crâne !
— Dans le spa, à côté, répond Sandrine. Elle prodigue un massage à notre pilote avant de reprendre le rallye.
— Elle a toujours des comprimés miracle dans son sac.

Mathilde se dirige jusqu’à la salle de bains. Elle frappe un coup à la porte tout en l’ouvrant. Elle la referme aussitôt, comme si elle avait vu Paul, et se précipite sur le lit et s’y s’écroule en pleurant. Cela faisait longtemps, semblent se dire, de concert, les regards des témoins. Joëlle sort de la salle hantée, confuse.

— Ma chérie, je vais t’expliquer !


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Des têtes d’enterrement

Mathilde se remarie !                                 Épisode 10  / 15

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Mathilde, 29 ans, mariée, fidèle, rêve toujours de prince charmant, de robe de princesse, nostalgique du plus beau jour de sa vie, dix ans déjà !
Sandrine, meilleure amie de Mathilde, 33 ans, l’âge du Christ, mais rien à foutre, pas croyante, le mariage, très peu pour elle, célibataire, hédoniste de nature, aime faire la fête, danser, boire un p’tit coup, ou deux, et transgresser les codes dès qu’elle peut.
Catherine, Cathy pour les intimes, collègue de Mathilde, 38 ans et toujours célibataire, à fond sur Meetic, rêve de mariage en grand avec une robe blanche, elle y croit !
Lætitia, chef de Mathilde, 45 ans, divorcée, deux enfants, terminé pour elle les mecs qui ne s’assument pas et jouer leur mère au foyer, elle veut voyager et s’éclater, profiter de la vie, quoi !
Joëlle, mère de Mathilde, 57 ans, veuve depuis cinq ans, elle a fait son deuil, mais les hommes, le mariage, c’est de l’histoire ancienne.

Joëlle, le volant collé contre sa poitrine, les yeux plissés, fixe la route droit devant.

— Je sors où, tu m’as dit ?

Lætitia, à la place du passager, lève la tête d’une vieille carte routière.

— Conthey, là ! … hé ! hurle-t-elle, la main gauche sur le volant pour retenir un geste brusque de la conductrice. Doucement Jo ! C’est pas le moment de nous planter !

Un coup de klaxon long retentit derrière la voiture, ce qui a le don d’énerver encore plus la copilote, joignant les gestes à la parole.

— C’est bon, c’est bon ! On t’a pas vu, ça arrive, connard !

Un double bip de téléphone se fait entendre. Cathy a reçu un sms. Lætitia sursaute aussitôt, comme si on venait de la réveiller en plein sommeil paradoxal.

— C’est quoi ça ?
— C’est Régis, répond timidement la coupable, les cheveux plaqués côté vitre et rebiqués de l’autre. Il faut que je l’appelle, on devait aller chez Ikea cette après midi. Du coup, on va devoir reporter. On rentre quand ?
— Ikea, un samedi ? Pouah ! lâche Sandrine, écœurée rien qu’à l’idée.
— Moi, j’adore me balader dans les allées, y a toujours plein de belles choses qui donnent envie de s’installer. Si seulement j’avais une grande maison, avec de la place !

Sandrine, coincée à l’arrière entre Mathilde et Cathy, des paupières rimmellisées comme un buvard absorbant le noir qui fait tache, démonte le rêve en kit de sa voisine :

— Une allée fléchée que tout le monde emprunte, c’est bien l’idée que je me fais du mariage… Pff !

— Hep hep hep ! s’affole Lætitia, tournée vers l’arrière pour arracher le portable des mains de  l’inconsciente. Éteins-moi ça ! T’es malade, tu veux qu’on aille en tôle ou quoi ?
— Hein ? ne comprend pas Cathy. Mais, je ne fais rien de mal…
— Tu vas justifier comment aux flics que t’étais en Suisse ? … Merci SFR !
— Bouygues…
— Bouygues ou Orange, tu seras marron ! … Mais putain, faut vous le dire comment ? … On a un mort sur les bras !

Les filles restent scotchées à leurs sièges, soudain conscientes que la situation est grave. Mathilde, les yeux rougis et gonflés, renifle pour ne pas pleurer, au risque de se faire à nouveau engueuler.

— Depuis ce matin on est dans ma maison de campagne dans l’Yonne, OK ? … On rentre dimanche soir. Jusque-là, pas de carte bleue, pas de téléphone, pas d’identité, RIEN !

On n’est pas là, ON N’E-XIS-TE-PAS ! … C’est clair ?

Personne ne bronche. Lætitia, complètement rincée, tente d’apaiser ses propos.

— On fait ça pour Mathilde… On va s’en sortir, les filles, ajoute-t-elle avant de se remettre face à la route. On va s’en sortir.

— Je prends où là ? demande la petite voix cramponnée au volant.
— Tout droit… jusqu’au pont du Diable. Je te dirai après.

Une heure plus tard. Sur le fameux pont diabolique. Cathy frissonne, le nez collé à la vitre.

— Ça donne le vertige !
— Impressionnante, la vallée, confirme Sandrine par dessus l’épaule de sa voisine. Elles sont énormes ces montagnes !
— Au loin y en a une dont le sommet s’appelle le Sex Noir, ajoute Lætitia, enfin détendue.
— Ah oui… On voit la forme du vagin, s’en amuse Sandrine, feignant de le viser du doigt.
— Y a de ça ! sourit la fille du coin.
— N’importe quoi ! lâche Cathy en haussant les épaules.
— Mais si ! insiste Sandrine, pointant son index au loin, toujours avec son humour grivois. En haut du col de l’utérus, là ! Ils en ont même fait une piste de ski… T’es miro ou quoi ? On voit même les tire-fesses !

Le rire est général. Moins tant pour la blague que pour le relâchement que les filles s’autorisent enfin. Elles respirent et commencent chacune à croire qu’elles vont s’en sortir.

— Prends le chemin, là ! ordonne Lætitia. On va suivre la Morgue.
La morgue ? s’inquiète Sandrine.
— Tout le monde l’appelle comme ça. En fait, la rivière s’appelle la Morge.
— Mais, y a que des gros cailloux, s’affolent la conductrice.
— Je sais, avance ! Le 4×4 est assez haut. C’est un chemin privé. Derrière, il y a un terrain de trente hectares. Autrefois il appartenait à mon grand père. Il l’a vendu pour rien à une mafia suisse.

— Y a des mafias suisses ?

— Qu’est-ce tu crois, Cathy ? Partout où tu as de l’argent, tu as des mafias qui gravitent autour. C’est comme les planètes avec les étoiles. C’est une loi universelle.
— Et si on croise quelqu’un ? demande Sandrine, pas rassurée.
— Ça ne risque pas. À moins d’assister à un autre enterrement. C’est un vrai cimetière d’affaires ici. Tout le monde le sait et personne ne dit rien.
— C’est dingue ! Cathy n’en revient pas.
— C’est leur manière d’être neutres… Tiens ! prends à droite là, s’interrompt la copilote, il devrait y avoir encore une vieille cabane du temps de mon grand-père.

La cabane n’a pas bougé. Dedans, il y a tous les outils pour creuser, piocher, bêcher, enterrer tout ce qu’on veut, quoi. Comme un self-service pour bandits en cavale. Le corps de Paul, couché dans une brouette, deux pelles, une pioche dessus, voilà les filles suivant le corbillard poussé par Lætitia.

— Suivez-moi, je connais un petit coin où Paul reposera en paix.

Lætitia puis Sandrine, un peu Joëlle, à peine Cathy, pas du tout Mathilde, en larmes, puis à nouveau Lætitia, toutes en sueurs, creusèrent, tour à tour, et finirent par jeter le cadavre dans un trou immense avant de le reboucher ensemble. Une heure plus tard. Mathilde dans les bras de sa mère, les deux bouleversées, signes de croix et Notre père, en passant par des Je vous salue Marie, elles n’en finissent pas de se recueillir sur l’emplacement du défunt, sans le moindre signe ostentatoire, Lætitia ayant été très claire.

— Allez on y va, ordonne la chef de la bande en cavale. On n’a que trop tardé. Il faut mettre de l’essence. Pas question de carte bleue. Donnez-moi tout votre argent, Paul nous fera vivre en Italie. Va falloir s’acheter des fringues aussi.
— Pourquoi aller en Italie ? demande Cathy, épuisée. Il est enterré maintenant.

— Si en Suisse, y a pas meilleure tombe, en Italie, y a pas mieux pour faire vivre les morts !


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Dans la nature…

Mathilde se remarie !                                 Épisode 9  / 15

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Mathilde, 29 ans, mariée, fidèle, rêve toujours de prince charmant, de robe de princesse, nostalgique du plus beau jour de sa vie, dix ans déjà !
Sandrine, meilleure amie de Mathilde, 33 ans, l’âge du Christ, mais rien à foutre, pas croyante, le mariage, très peu pour elle, célibataire, hédoniste de nature, aime faire la fête, danser, boire un p’tit coup, ou deux, et transgresser les codes dès qu’elle peut.
Catherine, Cathy pour les intimes, collègue de Mathilde, 38 ans et toujours célibataire, à fond sur Meetic, rêve de mariage en grand avec une robe blanche, elle y croit !
Lætitia, chef de Mathilde, 45 ans, divorcée, deux enfants, terminé pour elle les mecs qui ne s’assument pas et jouer leur mère au foyer, elle veut voyager et s’éclater, profiter de la vie, quoi !
Joëlle, mère de Mathilde, 57 ans, veuve depuis cinq ans, elle a fait son deuil, mais les hommes, le mariage, c’est de l’histoire ancienne.

Le jour s’étirait au fil des kilomètres avalés par le Range Rover rouge au toit crème.

Depuis une heure, le 4×4 ne cesse de balloter les corps enchevêtrés à l’arrière. Mathilde, blottie comme un chaton contre le ventre de sa maman, deux vestes sur le dos, dort à poings fermés. Joëlle, dont la tête tape contre la vitre à chaque virage, rouvre et referme les yeux tels des warnings d’un sommeil impossible. Cathy a trouvé un confort appréciable sur une fesse en travers de sa collègue, se relevant de temps à autre pour ne pas vomir. Sandrine, elle, n’a pas dit un mot depuis près de cinq heures qu’elles roulent, perdue dans ses pensées qui se fondent dans un paysage changeant défilant à vive allure. Elle se tient à la poignée du passager avant pour ne pas basculer côté conducteur où Lætitia, imperturbable, le pied sur l’accélérateur, l’autre sur le frein, les yeux tantôt dans les rétros tantôt droit devant, fume clope sur clope pour ne pas s’endormir, la vitre toujours entrouverte.

Le moteur a cessé ses vibrations. Des cheveux en bataille surgissent entre les sièges avant.

— Pourquoi on s’arrête ? demande Cathy.

Lætitia, des cernes effroyables sous les yeux, jette son mégot par la fenêtre et ouvre en grand sa portière, comme une libération. « Whouaaa ! »

— On sort se dégourdir les jambes, les filles. À deux kilomètres, c’est la frontière.
— On est déjà en Italie ?
— La Suisse, ma petite Cathy. Poste frontière de Vallorbe. On passait toujours par là avec mes parents quand on allait voir mon grand-père.
— Il est suisse ?
— Il était, rectifie Lætitia en sortant du 4×4. Allez, dehors, les filles ! Il va falloir s’apprêter.

Sandrine ouvre à son tour sa portière et étire ses jambes à l’extérieur, dans un cri de lionne qui renforce son tempérament sauvage. Joëlle et Mathilde sortent en bâillant, amorphes.

— Houuu ! mais il fait froid ici, se plaint la fille. Qu’est-ce qui se passe ? On est où ?
— En Suisse, il paraît, répond aussitôt Cathy qui la suit.
— On fait une pause de vingt minutes, ajoute la chef de la bande. Le temps de se recoiffer et d’être présentables au contrôle.
—  Mais pourquoi on passe par la Suisse ? s’étonne Sandrine. C’est risqué, et s’ils nous demandent d’ouvrir le coffre ?
— Je sais, mais comme disait mon grand-père :

Ce pays renferme dans ses coffres autant de cadavres que d’argent exilés !

— Attends, vient de comprendre Sandrine, parce que tu comptes l’enterrer là ?
— Dans le mille. Ici, tous les secrets sont bien gardés, crois-moi !

Voilà que Mathilde se remet à pleurer.

— Paul ! Bouuuh !
— Ah, non ! Tu ne vas pas  remettre ça, l’arrête de suite Lætitia, sur les nerfs. Allez, au maquillage ! On s’apprête comme si on allait au bureau. J’ai emmené tout ce qu’il faut.

Une demi-heure plus tard. Poste frontière de Vallorbe.

— « Le Creux », lit à voix haute Cathy sur une pancarte. Ça porte bien son nom, ça me rappelle la Creuse.
— Pour être dans la nature, on est dans la nature ! confirme Sandrine, en pure Parisienne.

Un douanier s’approche du véhicule stoppé à une barrière. S’adressant à la conductrice avec un accent bien caricatural comme on n’en fait plus dans ce pays :

— Booonjouuur madaaame. Veuillez vous raaanger iciii, j’vous priiie !

C’est un jeune homme d’une trentaine d’années, l’air un peu coincé, en juge Lætitia au premier abord.

— Vous alleeez où, j’vous priiiie ? V’z’êtes en weeeek-ennnd ?
— On va àaaaa… Lausanne. Euh… On bosse toutes là-bas. Je fais du covoiturage.
— Ah ! C’est bieeen çaaa, de penser à l’envirooonnemeeent ! Vous n’avez rieeen à déclareeer j’suppoooose.
— Aucune arme illicite monsieur le douanier, lâche Lætitia avec sa voix la plus sensuelle, tout en jouant du décolleté, préparé à cette occasion.  À ma connaissance.

Le jeune homme n’est pas insensible aux charmes palpables de cette quarantenaire.

— Me v’laaa rassurééé, plaisante-t-il en retour. Pouvez-vouus juste m’ouvrir le coooffre, j’vous prie ? Siiimple routiiiine.

Un vent de panique balaye l’arrière de la voiture. Lætitia tente de calmer Mathilde et Cathy aussi blanches que des souris dans un laboratoire.

— Qu’est-ce tu comptes  faire ?
— On se calme, les filles. Bougez pas ! … Pas de panique ! Pas de panique ! … Passe-moi mon sac à main qui est sur la plage arrière.
— Mais… tu ne vas pas…
— Tais-toi, bon sang, Cathy, tu vas attirer l’attention. Passe-moi ce sac, bordel !
— Oui oui…

En sortant, Lætitia appuie discrètement sur le bouton de verrouillage automatique des portières. Elle retrouve le douanier, déjà derrière le 4×4, et fait acte d’ouvrir le coffre, logiquement verrouillé.

— Ah, je n’ai jamais su comment on ouvre ce fichu coffre. C’est tout mon mari ça. Il voulait un Range Rover. J’ai horreur de ces bagnoles. En plus, ça pollue, si vous saviez !
— Oh ouiii! Moi, j’suis comme vouuus, très sensiiiible à la pollutiooon d’ces voituuures. On en voit d’plus en plus par iciiiii. Moi, j’ai un Raleigh Dover 40 !
— Désolé, mais j’y connais rien en bagnole !
— C’est un vélooo électriiiique ! Ah ah ! J’vous ai bieeen euuue. Avec ça j’polluuuue rieeen et en plus j’fais du spooort !
— Ah! D’accord. C’est génial ! s’exclame la conductrice, tentant de jouer la montre avec le Suisse. Comment vous dites ?

— Raleigh Dover 40. C’est le tooop, j’vous assuuuure ! 

Lætitia feint d’ouvrir le coffre une nouvelle fois.

— Décidément, ça a l’air coincé.
— Laisseeez moi faiiire !

Le douanier tente la manœuvre à son tour. En vain.

— On dirait qu’c’est bien verrouillééé. Vous pouveeez donner un coup de clééé pour forcer le machiiin ?

La conductrice s’exécute en appuyant consciemment sur le bouton inverse, histoire de faire entendre un clic. L’homme retente d’ouvrir le coffre, logiquement sans succès.

— C’est un mooonde, ces engins-làààà ! s’agace-t-il.

Lætitia prie dans son for intérieur pour qu’il abandonne, la main tremblante dans son sac. Quand un fait inattendu vient perturber le contrôle en cours. Un bip discontinu provenant d’une énorme montre à son poignet.

— Ah ! Il est neuf heuuures ! C’est le momeeent de la relèèève. Bon alleeez, vous pouvez  circuleeeer… Ça iraaa pour cette foiiis !
— Merci, merci, Monsieur ! expire Lætitia, dans un soulagement sans commune mesure. Ça a été un réel plaisir de vous connaître. Dès que je rentre, comptez sur moi pour étudier votre vélo électrique là… Le Roller Dove, vous dîtes ?

Raleigh Doveeeer 40. Un petit bijouuu dans les montééées ! lâche-t-il, tout content.

Les filles à l’arrière, à deux doigts de la syncope, le remercient de gestes et sourires affectueux comme s’il venait de leur sauver la vie.

— Merci encore ! répète la conductrice, à nouveau au volant. Au revoir !
— Au revoiiir ! et bon couraaage !
— Il en faut, croyez-moi, il en faut !

Le 4×4 démarre en trombe, lâchant une fumée épaisse nauséabonde en plein dans le visage du brigadier. Cathy, la première, pose la question qui taraude les autres.

— Tu ne comptais pas le… ?
— Je ne sais pas, je ne sais plus, se contente de répondre l’intéressée, soufflant et ouvrant la vitre pour respirer. On se tire d’ici.
— À cinq minutes près, on allait savoir, lâche Sandrine qui semble avoir sa petite idée.
— C’est derrière nous, conclut Lætitia. On fait une halte après Lausanne, on prend un petit déj’ et on avise pour la suite. Je suis morte. J’ai besoin d’un double café moi, je tiens plus !

Qui pourra prendre la relève pour la conduite ?

Personne ne répond. La chef les interroge du regard, Sandrine la première.

— J’ai pas le permis !
— Ah bon ?
— Qu’est-ce que tu veux que j’en fasse à Paris. J’ai le Vélib’, le métro et le taxi. Pour l’étranger je prends le train ou l’avion. Je vois pas où est le problème ?
— Ça va, ça va ! Et toi Cathy ?
— Ben, j’ai bien essayé. Huit fois, même. Mais ils n’ont jamais voulu me le donner. Pourtant c’était pas de ma faute, la dernière fois…
— C’est bon, c’est bon ! Mathilde ?
— Moi je l’ai. Mais j’ai jamais reconduit depuis le jour où on me l’a donné. Paul, il disait…

Là voilà qui se remet à chialer, désespérant encore plus Lætitia. Pitié ! Joëlle prend sa fille dans ses bras, une habitude depuis qu’elles sont parties.

— Ma chérie… Chuuu… Je prendrai la relève, Lætitia. Ça me reviendra bien en roulant.
— Tu parles d’une génération d’indépendantes !  se désole la conductrice, anéantie.
— Pourquoi tu dis ça ? ose demander Cathy.
— Parce que la bagnole, dans l’histoire de la lutte des femmes, c’est un acquis les filles ! … Mettez-vous ça dans le crâne !

Laissez jamais un mec conduire à votre place, putain !

Lætitia est sur les nerfs. Elle roule aussi vite qu’elle voudrait que cette cavale se termine. Personne ne bronche derrière, ni devant.


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La remariée était en noir…

Mathilde se remarie !                                 Épisode 8  / 15

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Mathilde, 29 ans, mariée, fidèle, rêve toujours de prince charmant, de robe de princesse, nostalgique du plus beau jour de sa vie, dix ans déjà !
Sandrine, meilleure amie de Mathilde, 33 ans, l’âge du Christ, mais rien à foutre, pas croyante, le mariage, très peu pour elle, célibataire, hédoniste de nature, aime faire la fête, danser, boire un p’tit coup, ou deux, et transgresser les codes dès qu’elle peut.
Catherine, Cathy pour les intimes, collègue de Mathilde, 38 ans et toujours célibataire, à fond sur Meetic, rêve de mariage en grand avec une robe blanche, elle y croit !
Lætitia, chef de Mathilde, 45 ans, divorcée, deux enfants, terminé pour elle les mecs qui ne s’assument pas et jouer leur mère au foyer, elle veut voyager et s’éclater, profiter de la vie, quoi !
Joëlle, mère de Mathilde, 57 ans, veuve depuis cinq ans, elle a fait son deuil, mais les hommes, le mariage, c’est de l’histoire ancienne.

Une heure plus tard, on sonne.

Cathy sursaute, comme si la police était à la porte. Sandrine prend les choses en mains, comme depuis le début de cette sale histoire.

— Bougez pas, je vais voir ! C’est sûrement Lætitia.

Effectivement, c’est bien elle, mais elle n’est pas venue seule, à sa grande surprise.

—  Ben quoi ? Elle était avec moi, j’allais pas lui dire… Enfin, il s’agit de sa fille !
— Oui, bien sûr. Bonsoir Joëlle, heu… attendez-moi là, juste un instant, je reviens.
— Qu’est-ce qui se passe ici à la fin ? s’impatiente la mère qui flaire le drame.

Sandrine retourne dans le salon, histoire de préparer la fille à la venue de sa mère. Seulement, les deux invitées ne lui en laissent pas le temps, elles l’ont suivie.

— Maman ? appelle Mathilde, après avoir cru reconnaître la voix maternelle.

Joëlle entre la première et se jette dans les bras de sa fille, toute heureuse de la savoir saine et sauve.

— Ma chérie ! Tout vas bien ?
— Oui oui, maman !

Lætitia découvre la première le carnage, le sang sur le tapis et la silhouette d’un corps recouvert d’un drap.

— Nom d’un chien, mais qu’est-ce qui s’est passé ?

Joëlle pousse un cri d’effroi en heurtant le corps à ses pieds. Elle vacille. Sandrine la rattrape in-extrémis et la fait s’asseoir sur le canapé.

Assieds-toi aussi, Lætitia ! Je vais tout vous expliquer.

Dix minutes plus tard. Mathilde est en sanglots dans les bras de sa mère, comme une petite fille qui vient de faire une énorme bêtise.

— Pardon ! Maman, j’voulais pas.  Ça a été horrible… hanc ! Pardon !

Joëlle est au bord des larmes également. Elle tente de trouver les mots pour réconforter sa fille, murmurant d’une voix à peine audible.

— Ma fille… Mon bébé ! … Ce n’est pas de ta faute… Comment est-ce encore possible ? Nous sommes maudites avec les hommes !

Lætitia presse l’épaule de Joëlle dans un geste de compassion, retenant toute émotion. C’est qu’il s’agit désormais d’avoir les idées claires.

— Bon bon… Ne paniquons pas ! … On se calme, les filles ! … Pas de panique, on va s’en sortir ! PAS-DE-PANIQUE !! …  … laissez-moi réfléchir !

Et quand Lætitia réfléchit, rien n’est laissé au hasard. Elle n’était pas la chef pour rien, au bureau. Ça dépotait avec elle. Et ça n’a pas tardé, trois minutes plus tard.

— Dans le sac poubelle, là, je veux tout ce qui a touché de près ou de loin à la victime.
Ses fringues, la robe, les serpillères, le tapis !
Oui oui, ta culotte aussi Mathilde ! Prend une douche et va te changer !
Non, le pistolet, je vais le prendre dans mon sac pour l’instant.
Hop hop hop, malheureuse, donne-moi son portable ! Une aubaine !
Laisse-moi faire, on verra plus tard !
Ses papiers aussi, son blouson. On va pas le laisser sortir à poil.
Tu connais son code de carte bleue ?
T’es un génie, Mathilde ! J’suis bête, t’es juste sa femme !

— C’est quoi ton plan au juste Lætitia ? s’intéresse de près Sandrine.
— Il faut arriver à le faire vivre encore un peu, mais loin d’ici. Tu me suis ?
— Pas complètement, mais tu vas me dire.
— Comme dans Volver ! s’exclame soudain Cathy.
— Hein ? ne comprend pas Lætitia.
— Mais on n’a pas de congélateur assez grand.

T’es lourde, Cath’, avec ton congèl’ !

Lætitia continue de dérouler sa stratégie .

— On va utiliser son fauteuil de bureau roulant pour l’emmener jusqu’à la voiture. Dans une heure, on décolle. Il faut que la maison soit aussi nickel que d’habitude.
— Ce serait bien la première fois, fait remarquer Joëlle.
— Pourquoi tu dis ça, maman ?
— Ne le prends pas mal, ma chérie. Mais le ménage et toi, on ne peut pas dire que c’est le grand amour.

Mathilde se remet à pleurer.

— Ah non ! l’interrompt Lætitia, ça suffit ! Tu ne vas pas remettre ça. Maintenant tu vas être une grande fille ! Tiens, va remettre un peu de ton bordel dans ta chambre, qu’on n’ait pas l’impression que tu viens d’emménager.
Hanc ! Oui…
Ensuite, prends une douche et change-toi !  … Et ta robe, à la poubelle, n’oublie pas ! Cathy, aide-la, si tu veux bien. Et ramène-nous un costume de monsieur, là. Un chapeau et ses lunettes de soleil aussi.
— Pour quoi faire ? demande curieusement Cathy.
— Pour qu’il soit présentable, au cas où.
— Han !
— Je ne pige pas tout, dit Sandrine, mais pourvu qu’on déguerpisse d’ici au plus vite.

Une heure trente plus tard.

— Les filles, discrètement, on emmène le corps dans le fauteuil jusqu’à la voiture.
Appelez l’ascenseur !
Cathy, Joëlle, les sacs, dans le local poubelle !
Sandrine, aide-moi à pousser le fauteuil, l’ascenseur est là.
Mathilde, attends-moi je reviens avec le chariot.

« 3h17 » s’affiche sur le tableau de bord du 4×4. Le silence dans la rue est total. Un tour de clé de contact et le ronflement du moteur diesel le brise comme un éclat sur le pare-brise. Un frisson parcourt les filles.

— Allez, on met les voiles !

— J’ai froid, se plaint Mathilde. Tu ne veux pas relever la vitre, s’il te plaît ?
— Non, réplique le chauffeur. Fais comme moi… RESPIRE !
— On va où ? ose demander Cathy.

— Venise ! …  Hein, Paul ? lance Lætitia dans le rétro, en direction du coffre.


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